Article rédigé par Meriyem KOKAINA
C’est de ces lecture qui marquent, une de ses lectures qui restent dans les esprits, une de ces lectures où certaines phrases restent gravées dans nos mémoires.
“Allah n’est pas obligé d’être juste dans toutes les choses qu’il fait sur terre”
C’est une de ces vies apocalyptiques que nous décrit Ahmadou Kourouma dans ce livre à travers l’histoire de Birahima, jeune Malinké où chaque étape de sa vie se dresse comme un chaos.
Dans un langage cru, sec, quelque peu boiteux mais avec un brin de naïveté enfantine une certaine authenticité se dégage, nous poussant à nous prendre de sympathie pour cet enfant à l’apparence d’ange déchu.
Il vit son enfance dans l'insouciance de l’âge qui est quotidiennement rattrapé par la souffrance de sa mère, infirme et malade d’un ulcère qui lui rongea la jambe. Et malgré l’espoir absent de guérison et la torture infinie qu'elle subit, il voyait en elle une certaine lumière.
“ Ue beauté pourrie comme l’ulcère de sa jambe droite, une lueur qui se voyait plus dans la fumée et les odeurs de la case“.
On justifiait l’ulcère de sa mère par un sort de l'exciseuse qui voulait lui destiner son fils en mariage mais ne reçu que refus de la belle car il n’était pas un malinké musulman. Elle aura pour cadeau de vengeance un ulcère. Mais à la mort brutale du fils de l'exciseuse, tué par un buffle, on l’accusa, elle, de sorcellerie, prétextant que le buffle n’était que sa réincarnation - son avatar. Parole de marabout, c’était même elle la cheffe des sorciers.
“Chaque nuit, elle mangeait avec d’autres sorciers les âmes et dans l’ulcère de sa propre jambe. C’est pourquoi sa plaie ne pouvait guérir”
L’enfant choqué et apeuré par sa mère, fuit et décide de devenir, un enfant des rues, errant. Finalement, bien que récupéré par sa famille, les tragédies de la vie apparaissent prendre de plus en plus d'ampleur. En parallèle, sonne la mort de sa mère. Il comprendra plus tard que les rumeurs de sorcellerie autour d'elle n’étaient pas avérées et regrette amèrement de l'avoir laissé partir, son coeur chargée de peine et de tristesse. Il se résilie et se persuade qu’à cause de cela il ne pourra prétendre à autre chose qu'à un avenir sombre..
“Je ne ferais rien de bon sur terre. Je ne vaudrais jamais quelque chose sur cette terre”
Sa mère étant décédée, c'est sa tante qui devient sa tutrice. “ C’était ma tante, ma tutrice, qui devait me nourrir et m’habiller et avait seule le droit de me frapper, injurier et bien m’éduquer. Il était temps de partir au Libéria la rejoindre.
Puisque ce n'était qu'un jeune enfant, il se fit accompagner par Yacouba, dit Tiécoura, une sorte de commerçant devenu un artisan escroc, qui voyait dans ce départ, une opportunité de se remplir les poches en devenant marabout.
“Le Libéria est un pays fantastique. Son métier, à lui, multiplicateur de billets de banque, était un boulot en or là-bas.”
Birahima, en pleine confusion, et incompréhension n’a également qu’une seule hâte, d’aller au Libéria pour être enfant soldat. Ce passage est extrêmement important car il souligne le très jeune âge de Birahima nageant en pleine incompréhension par rapport à ce qu’il l’attend. Il ne décrit ni peur, ni horreur, mais une hâte et excitation que seule l'innocence peut justifier à ce moment.
“Là-bas, il y avait la guerre tribale, là- bas, les enfants de la rue comme moi devenaient des enfants soldats. Les smalls-soldiers avaient tout et tout. Ils avaient des kalashnikovs”.
Direction le Libéria, direction la guerre tribale….
“Quand il y a une guerre tribale dans un pays, ça signifie que des bandits de grand chemin se sont partagé le pays. (...). Ils se sont partagés tout et tout et le monde entier les laisse tuer librement les innocents, les enfants, et les femmes”
L’arrivée au Libéria se fait dans le chaos totale, des âmes innocentes sont tuées, des voyageurs pillés..l’ordre n’est qu’une vieille chimère. Rapidement, l’enfant prit de panique, supplie pour son salut, supplie pour l’avenir qu’on lui avait promis au Libéria.
“Je veux être soldat-enfant, small soldier, child soldier. Je veux ma tantie, ma tantie à Niangbo”
Au milieu des enfants soldats, chargés d’armes et abreuvés de drogues en tout genre, il fait sa place. Car finalement quelle solution se propose dans ce monde sanguinaire de chaos violent pour tous ces enfants …
“Quand on a plus personne sur terre, ni père, ni mère, ni frère, ni soeur, et qu’on est petit, un petit mignon dans un pays foutu et barbare où tout le monde s’égorge, que fait-on ? On devient un enfant soldat, un small soldier, un child-soldier pour manger et pour égorger aussi à son tour; il n'y a que ça qui reste”.
Chaos, où seule la survie est maîtresse, où la justice se fait absente:
“Allah n’est pas obligé, n’a pas besoin d’être juste dans toute ses choses, dans toutes ses créations, dans tous ses actes ici-bas”.
A partir du regard enfantin de Birahima dans ce foyer de violence, il dresse une vision des événements historiques d’une des guerres les plus violentes que l’histoire moderne de l’Afrique de l’Ouest ait connu, plongés dans les intérêts économiques des différents chefs de guerre. En effet, Il n’était ni question de religion, ni question de sexe, il était question de pouvoir, d’argent et de celui qui sera le plus sanguinaire.
Dans la recherche de sa tante qui prend la tangente en Sierra Leone, Subtilement l’auteur nous amène vers un autre conflit où le chaos était encore plus paroxysmique qu'au Libéria, où s'entretuaient toujours des groupes armés pour des intérêts économiques, géopolitiques et géostratégiques forts.
“En Sierra Leone, il n’y a que des coups d’Etat, assassinats, pendaisons, exécutions et toutes sorte de désordres, le borde au carré. Parce que le pays est riche en diamants, en or, en toutes sortes de corruption”.
De nouveau, avec des mots simples et synthétiques, est décrite l’histoire de la Sierra Leone et de toutes les hyènes qui voulaient partager et contrôler ses richesses. Sans oublier les magouilles intergouvernementales qui et coalitions avec les différentes dictatures environnantes…
“Compaoré, le dictateur du Burkina, l’a recommandé à Houphouët Boigny, le dictateur de la Côte d’Ivoire, comme un enfant de choeur, un saint. Houphouët qui en voulait à Doe pour avoir tué son beau-fils fut heureux de rencontrer Taylor et l’embrassa sur la bouche. Houphouët et Compaoré se sont vite entendus sur l’aide à apporter au bandit. Compaoré au nom du Burkina Faso s’occupait de la formation et de l'entraînement. Houphouet au nom de la Côte d’Ivoire s’était chargé de payer des armes et l'acheminement des armes”.
Finalement, cette impression de vie normale gagne l’enfant, se persuadant que c’est sa destinée et que ce qu’il voit fait partie de la normalité.. mais il n’empêche qu’il garde une lucidité forte sur sa vie, une vie tragique.
Pour ajouter de la tragédie au drame, la raison de son périple, retrouver sa tante, tombe à l’eau, car elle est morte, jetée dans une fosse commune.Finalement, que deviendra-t-il dans ce monde...où les première lignes de son histoire chaotiques nous bride le coeur, dans un avenir qui paraît sombre.
“Moi non plus, je ne suis pas obligé de parler, de raconter ma chienne de vie, (...). J’en ai marre; je m’arrête ici pour aujourd’hui”
Lire la biographie d'Ahmadou Kourouma