Article rédigé par Meriyem KOKAINA
“ La vie est un drame qu’il faut vivre avec sérénité"
C’est en pays peul, que naît Amkoullel, surnom que portera dans sa belle enfance Amadou Hampaté Ba.
“Un jour, le grand conteur, historien et traditionaliste Koullel, qui s’était tellement attaché à moi depuis mon enfance m’avait surnommé Amkoullel (c’est à dire “le petit Amadou de Koullel)”
Je ne saurais retranscrire la douceur de la plume avec laquelle l’auteur décrit la grandeur de l’histoire que porte son oeuvre. Dans ses lignes où il se livre tel de l’eau claire, il ajoutera, charme et honnêteté. Son écriture ne cache aucun secret.
J’ai rarement été, dès les premières lignes d’un roman, touchée par une histoire qui me fait prier pour qu’elle ne s’arrête jamais. Les raisons sont multiples tant elles m’échappent curieusement. En quelques heures ma lecture se termine bien que, face à moi, un pavé faisant plus de 500 pages.
Amadou Hampâté Bâ raconte le mariage des différentes cultures qui l'ont forgé. Il ne repousse aucune d’elles et accepte l’apport positif de chacune. Son identité commence dans les pures traditions peules, mêlées aux coutumes des autres groupes culturels l’entourant comme les bambaras, les dogons ou les bozos. Et par le choix du destin, elle se construira également autour de la culture française, venue pourtant coloniser sa terre maternelle.
©lemonde.fr
“Sois à l’écoute, disait-on de la vieille Afrique, tout parle, tout est parole, tout cherche à nous communiquer une connaissance”
Son écriture mêlera les règles de la littérature française ainsi que les qualités oratoires des meilleurs conteurs africains. Chaque ligne contient une anecdote ou une description qui ne manque jamais d’apporter humour et charme au récit. Aucun mot n’est en trop.
©New York Public Library
Je pourrais vous résumer cette histoire comme j’ai l'habitude de le faire mais aucun extrait n’égalera la magie que vous procurera la lecture complète de ce chef d’oeuvre littéraire. Emportée je l’ai été et ne souhaite qu’une chose que vous le soyez également.
De cette magie qui s’est opérée dès les premières lignes je retiendrai la connaissance. La connaissance de l’histoire peul et de son émergence à travers l'empire Toucouleur d'El Hadj Omar Tall qui prend ses racines au Tékrour du Sénégal jusqu'à l’arrivée des colons français et de l’émergence des premières revendications indépendantistes.
“Ce nom (Toucouleur), n’a rien à voir avec une quelconque notion de couleur, dérive du mot arabe ou berbère Tekrour qui désignait jamais tout le pays du Fouta Toro Sénégalais. Selon Maurice Delafosse, ce nom, déformé par la prononciation wolof en tokoror ou tokolor, devient, dans une ultime déformation phonétique française, toucouleur”.
©Sergio Pessolano - Homme Peul
Certes la colonisation a renversé l’ordre des choses mais à aucun moment l'auteur ne montre de la colère ou de l'agressivité en décrivant les changements et bouleversements qu’elle déclenche au sein des sociétés africaines. Il insistera surtout sur l’incroyable dignité des siens face à toutes ces épreuves qui plongèrent parfois les plus grand princes dans la plus modeste des situations. Ce livre plein de sagesse ne manquera pas de mettre en relief des valeurs parfois oubliées mais qui sont à la base de la philosophie africaine: dignité, résilience, humilité, générosité, respect des aïeux et des relations sociales parfois complexes . Il nous rappelle également que nous faisons parti d’un écosystème qu’ils ne faut pas mépriser car source de connaissances que seuls les plus attentifs maîtrisent.
Il peindra de manière singulière comment les peuls, bambaras, bozos et d’autres vivaient avant l’arrivée des colons. Et malgré les tentatives des colons de balayer d’un revers les coutumes et structures sociales des populations colonisées, ces dernières resteront corps et âmes rattachées à leur culture.
“On peut vaincre physiquement son ennemi et le réduire en esclavage, mais on ne pourra jamais domestiquer son âme et son esprit au point de l’empêcher de penser”.
Sans oublier de dénoncer les travers de l’administration coloniale, il réussit un exercice que beaucoup pensent encore impossible: mettre l’humain au centre de l’évolution et de la réconciliation de la civilisation humaine.
“Ce respect et cette écoute de l’autre quel qu’il soit et d’où qu’il vienne, dès l’instant que l'on est soi-même bien enraciné dans sa propre foi et sa propre identité seront d’ailleurs plus tard l’une des leçons majeures que je recevrai de Tierno Bokar”.
Réussir à réconcilier deux mondes vus comme antagonistes pour atteindre l’objectif ultime: construire le bonheur de notre civilisation en comprenant les coutumes et philosophie de chaque homme qui la constitue.