Souvent, lorsque l’on parle d’écriture, on imagine un espace de pensée et de liberté pure. Un espace, où nos pensées les plus intimes osent s’aventurer hors de notre esprit pour enfin sortir des abîmes de notre intimité.
D’autres, en revanche, décident d’offrir ces pensées au monde. Mais, l’aventure ne se veut aussi poétique qu’une danse où le lectorat en transe vient recevoir chaque mot comme une goutte de pluie de grâce.
Non, car écrire nécessite du courage. Chaque auteur(e) quelle que soit son histoire se met à nu(e). Chaque histoire porte en elle une partie de celui ou celle qui l’a écrit. Chaque livre est comme un organe externe et pourtant si vital de celle ou celui qui a veillé pour l’écrire. Imaginez que vous publiez votre journal intime, que vous racontiez l’histoire d’un de vos aïeux, que vous écrirez une histoire que les hommes ont voulu taire. Imaginez que vous publiez une critique littéraire, politique ou culturelle… chaque écriture vous poussera à assumer le poids de vos paroles et à accepter ou non les louanges, tout comme les critiques ou pire… les menaces.
La littérature africaine est loin de ne se vouloir qu’esthétique. Elle a souvent été engagée et portée par le talent d’écriture de ses auteurs. En nous intéressant de plus près à son histoire, nous remarquons qu’à partir des années 70, les désillusions postcoloniales nourrissent à plein régime l’imagination des auteurs. Tous s’attellent à dénoncer les causes tout comme les conséquences de leurs sociétés subissant leurs vies plutôt que réalisant leurs rêves.
Parmi ces livres, beaucoup ont connu la censure et leurs auteurs, l’exil. Aujourd’hui, nous avons la chance de lire leurs écrits dont beaucoup sont devenus des classiques.
Souvent, en les lisant, je me dis qu’il faut avoir une sacrée personnalité et de profondes convictions pour dire sans crainte ce qui est même interdit d’être pensé. Découvrons alors quelques auteurs africains courageux qui ont décidé de rester maîtres de leurs pensées au prix cher de la fuite et de l’exil.
1- Ahmadou Kourouma
Ahmadou Kourouma est un auteur guinéen malinké né en Côte d’Ivoire en 1927. Au cœur de tous ses écrits se développe une critique romancée, mais virulente des politiques tyranniques qui bâillonnent les populations. Dans Allah n’est pas obligé, il décrit brillamment l’horreur des guerres civiles. Dans Le soleil des indépendances, il revient sur le déséquilibre impossible à résorber qu’a planté l’administration coloniale en Afrique de l’Ouest. Vient le tour d’En attendant le vote des bêtes sauvages où il fait une critique sans détours des dictateurs africains. Mais il ne faut pas oublier que ces quelques romans lui ont valu l’exil dès les années 1970, car Houphouët-Boigny ne voyait pas du tout d’un bon œil ses travaux. Depuis, il a écrit en territoire d’exil, soit en France, avant de revenir dans les années 90 en Côte d’Ivoire.
2- Mongo Beti
Censure et exil, tel a été le destin d’Alexandre Biyidi Awala, né au Cameroun en 1932. Sa carrière littéraire prend son envol avec son premier roman, Ville cruelle, sous le nom d’Eza Boto publié aux éditions Présence Africaine en 1954. En 1956 vient l’heure du scandale lors de la parution du roman Le Pauvre Christ de Bomba qui fait une critique sans complaisance des missionnaires en temps colonial. En 1972, il nous offre Main basse sur le Cameroun, refusé par son éditeur, le Seuil, et censuré par le ministère de l’intérieur français. Ce n’est qu’en 1976 que la censure est annulée. Son engagement ne s’arrête pas là. Pendant des années, il lance la revue Peuples Noirs, Peuples africains pour dénoncer l’impact du néocolonialisme. En 1991, il revient enfin au Cameroun, après 32 ans d’exil.
3- Nurrudin Farah
Nurrudin Farah est un auteur somalien né en 1954. Son œuvre est considérée comme une des plus importantes de la littérature africaine d’expression anglophone. Certains de ses livres sont traduits en plus d’une dizaine de langues. Son premier livre From a Crooked Rib publié en 1970 fait une critique de la société somalienne patriarcale. C’est son second livre, A Naked Needle, publié en 1975, qui le mènera vers le chemin de l’exil. Le général Mahamed Siyaad Barre, fraîchement arrivé au pouvoir, met fin à sa carrière d’écrivain en Somalie. À la chute du régime, il tentera de revenir en Somalie, mais le danger planait toujours. À l’étranger, il multiplie les publications. Beaucoup sont publiées en français. À titre d’exemple, Exils publié en 2010 aux éditions Le serpent à plumes.
4- Patrice Nganang
Politique et littérature, l’exil au prix de la liberté pour fuir les prisons du Cameroun. Bamiliké né en 1970, il publie une vague d’essais, de romans, et de recueils de poésie. En 2011, il publie un de ses plus gros succès, Temps de chien, qui raconte à travers le regard d’un chien, la vie quotidienne à Yaoundé. En 2002, il remporte le grand prix littéraire d’Afrique Noire. Mais, c’est un 2007 qu’il prend la route de l’exil. La raison; avoir tenu des propos contre Paul Biya sur sa page Facebook. Cela lui vaudra 21 jours d’incarcération et une expulsion immédiate en 2017. Son dernier livre, Premier président noir de France, est publié en 2022 aux éditions Teham.
5- Tierno Monénembo
Tierno Monénembo est un auteur guinéen qui lui non plus n’a pas échappé à la route de l’exil. Dès 1969, il fuit le régime de Sékou Touré pour s’installer dans le Sénégal voisin. Il publie son premier romanLes Crapauds-brousse. Mais, c’est son second roman, Les Écailles du ciel, qui lui vaut le Grand prix littéraire d’Afrique Noire. En 2008, il publie le Roi de Kahel qui est primé par le prix Renaudot en 2008. Puis, en 2012, son livre Le Terroriste noir lui permet d'ajouter un autre trophée à sa collection.
Écrire est un acte engageant, responsable courageux. Sachons lire avec recul, attention et respect pour ces vies troublées par le devoir supérieur d’écrire, ce que l’on aurait peur de voir ou d’entendre.