Il n’aurait pas été nécessaire d’indiquer qui était l’auteur de ce livre. À peine ai-je commencé la lecture des premières pages qu’un sourire s’est esquissé sur mon visage, car j’ai instinctivement reconnu la plume d’Ahmadou Kourouma.
Si tu vois une chèvre dans le repaire d’un lion, aie peur d’elle.
L’humour, oui l’humour dénonciateur. Telle est la signature de cet illustre auteur ivoirien. Après Allah n’est pas obligé dénonçant les enfants soldats enrôlés au Libéria et en Sierra Leone, à travers l’histoire du jeune Birahima ou encore Le Soleil des indépendances qui décrit l’impact de la colonisation sur les sociétés ouest-africaines, Ahmadou Kourouma nous offre ce roman qui pointe du doigt les destructeurs régimes dictatoriaux paisiblement installés aux quatre coins du continent après les indépendances. L’intrigue s’ouvre autour du président Kogoya, qui souhaite fêter ses trente années de pouvoir démocratique. Six veillées sont organisées à son honneur. L’occasion parfaite de mettre en valeur l’ensemble de son exemplaire carrière politique.
Votre nom : Koyaga ! Votre totem : faucon ! Vous êtes soldat et président. Vous resterez le président et le plus grand général de la République du Golfe tant qu’Allah ne reprendra pas (que des années et années encore il nous en préserve !) le souffle qui vous anime. Vous êtes chasseur ! Vous resterez avec Ramsès II et Soundiata l’un des trois plus grands chasseurs de l’humanité. Retenez le nom de Koyaga, le chasseur et président-dictateur de la République du Golfe.
Au rythme des chants des griots et aux proses qui nous rappellent les contes, fables et légendes ouest-africaines, prenez place et écoutez ce récit macabre allégé par la plume comique de l’auteur.
Le donsomana est une parole, un genre littéraire dont le but est de célébrer les gestes des héros chasseurs et de toutes sortes de héros. Avant d’introduire un héros dans un donsomana, le genre exige qu’on dise au préalable son panégyrique. Le héros est une haute montagne et le sora qui conte est un voyageur.
Chaque veillée raconte une étape de la vie de ce fabuleux dictateur. La première revient sur son ascendance. Elle mentionne son défunt père Tchao, tirailleur qui « avait tué cinq Allemands pendant la Grande Guerre et avait été le premier homme nu à introduire l’habillement. Alléluia, le premier a avoir introduit un peu de civilisation dans cette vaste et sauvage forêt. Son engagement dans l’Indochine et l’Algérie ne sont pas omis, honneur à son dévouement à la mère-patrie.
Moi, Bingo, je suis le sora ; je louange, chante et joue de la cora. Un sora est un chantre, un aède qui dit les exploits des chasseurs et encense les héros chasseurs. Retenez mon nom de Bingo, je suis le griot musicien de la confrérie des chasseurs.
La seconde veillée, raconte son retour au pays à l’aube des indépendances, où il s’empare du pouvoir, sur fond de coup d’État, bien évidemment dans l’intérêt de son valeureux peuple. Son premier réflexe, aller rendre visite aux autres dictateurs des pays voisins pour bénéficier de leurs conseils et être le meilleur dictateur possible. Avec quelques notions historiques… je suis certaine que vous les reconnaîtrez tous !
Président, général et dictateur Koyaga, nous chanterons et danserons votre donsomana en cinq veillées. Nous dirons la vérité. La vérité sur votre dictature. La vérité sur vos parents, vos collaborateurs. Toute la vérité sur vos saloperies, vos conneries ; nous dénoncerons vos mensonges, vos nombreux crimes et assassinats…
Ses premières réformes seront la mise en place d’un parti unique, l’assassinat de ses opposants politiques et le soutien de l’Occident complice…
La mort engloutit l’homme, elle n’engloutit pas son nom et sa réputation.
Entre conteur, lanceur d’alerte et fin analyste politique, Ahmadou nous offre un récit sans détour sur un moment politique en Afrique qui n’a que trop duré depuis les indépendances. Le génie de l’auteur est d’avoir joué de la langue française pour en faire jaillir la magie du récit africain. Une poésie politique que vous apprécierez davantage en maîtrisant quelques éléments de l’histoire post-indépendance pour mieux saisir les nuances du récit. La question est désormais de savoir si je vous conseille ce livre. Dois-je réellement répondre à la question ? Il suffit de lire “Ahmadou Kourouma” sur une couverture… je n’ai pas besoin de plus pour vous convaincre.