Article rédigé par Meriyem Kokaina
Elom20ce est un artiste que j'apprécie beaucoup. C'est un de ces artistes qui donne une puissance à son art et qui l'exploite dans ses moindres facettes. Quel fût mon entousiasme lorsqu'on nous avons décidé d'organiser cet échange notamment à l'ocassion de la sortie de son nouvel album "Amewuga". Echange, très intéressant, même émouvant. En plus, j'ai eu la chance d'être invitée à un concert privé ... quelle classe ! C'est donc avec un sourire sincère qui se peint sur mon visage que je vous partage, à travers cet article, cet interview intense et inoubliable.
Dire que nos religions ancestrales sont négatives c'est donner caution à ceux qui pensent que le christianisme arrivé avec la colonisation est venu nous sauver de nous-mêmes.
Amewuga, c’est le titre de son dernier album. lI signifie que l’être humain a plus de valeur que les biens matériels en ewe, une langue Ouest-africaine parlée au Togo, Ghana et au Bénin. Elom 20ce a choisi l’art pour marquer les esprits à travers l'émotion. Mais son art va au-delà de l’esthétique, il sert une lutte et un combat précieux: celui de donner conscience à la connaissance et de partager de l'amour et de la tendresse dans un monde qui en manque cruellement aujourd'hui.
Elom20ce nous vient du Togo. Il nous parle de sa culture avec beaucoup d’amour et de fierté. Cette fierté, il la souhaite pour son pays et surtout pour l’Afrique, un continent, qui a connu nombreuses souffrances et mésaventures. Il est désormais temps pour elle de changer de trajectoire et de se définir selon ses propres repères. Dans ses textes, Elom20ce parle de spiritualité, de transmission, d’histoire, d’amour et de prise de conscience. Pour lui, la culture est l’arme la plus puissante, car comme il le dit si bien:
Ce n’est pas ce que tu portes avec toi qui survit, mais ce qui est en toi.
Entre deux continents, l’Afrique et l’Europe, son art propose de faire lien entre les gens ancrés et les gens instruits, dans l’objectif de donner un sens à la connaissance et de nourrir les consciences pour mettre fin aux souffrances.
🟧 Quel message souhaites-tu partager à travers le rap ?
Je souhaite partager un message d’amour et de tendresse, car le monde actuel en manque énormément. L’amour est un sentiment puissant qui peut déplacer des montagnes. Lorsque je parle d’amour, je parle de l’amour avec un grand A. L’amour de soi, de sa culture, de son pays, de son identité etc, car c’est en s’aimant que l’on apprend à aimer les autres. À travers ma musique, je souhaite aussi porter un message de lutte. Je vis aujourd'hui au Togo, et donc par extension, au sein d’un continent qui a été meurtri à maintes reprises et qui continue de l’être. Dans mes textes, je parle de l’esclavage, de la colonisation et de la néocolonisation que nous sommes en train vivre. Je veux rappeler que nous sommes un continent riche où malheureusement les habitants ne profitent pas de la richesse de leurs ressources notamment à cause des élites corrompues qui ont leur esprit ailleurs, leurs biens, leur argent ailleurs et parfois même leur résidence ailleurs. Pour moi, ceci est l’expression d’un désamour, de désamour et de manque de confiance en soi.Le plus grand défi auquel nous sommes en train de faire face est de regagner une estime de nous-même afin que cesse l’exploitation de nos fissures et de nos divisions.
Qu'est-ce que l'amour ....?
🟧 Que pouvons-nous faire pour mieux nous aimer ?
Je vois beaucoup de jeunes africains ou de jeunes d’origine africaine qui n’arrivent pas à s’intégrer dans la société française ou par extension occidentale car c'est une société de les intègre pas. De ce sentiment de marginalisation, naît un sentiment de confrontation et un désamour de sa condition. S’aimer revient à aimer toutes les facettes qui nous définissent. Mais comment aimer sa condition première sans la connaître ? Il serait donc intéressant et nécessaire pour toutes ces personnes d’apprendre leur culture, de la maîtriser et aussi de fouler le sol de l’Afrique en contribuant à en faire un espace fort, digne et puissant. Je ne veux en aucun cas donner des leçons de morale à quiconque. Ma mission à travers ma musique est de créer un environnement propice à leur retour et qu’ils soient fiers d’envisager un retour en Afrique. En venant en France aussi, je veux qu’ils puissent tous être fiers d'être africain. Revenir en Afrique n'équivaut pas uniquement à aller dans les grandes villes, qui sont à mes yeux une fausse périphérie de l'Europe, que ce soit dans leur structure ou dans les nouvelles normes sociales et comportementales qui s'y établissent, mais de découvrir une facette véritable de chaque pays en allant découvrir le maximum d’endroits authentiques.Par cette découverte, l’idée est de sortir de la confrontation, du désamour et donc de s’accepter sans mimer l’extérieur.
🟧 Comment as-tu pu crée un espace de conciliation entre ces deux mondes ?
La réponse est simple. Elle se trouve dans la couleur rouge du sang qui coule dans nos veines à tous. En ewe, le terme “étranger” signifie “une chose désirée”. L’étranger n’est donc par quelqu’un que l’on rejette ou que l’on veut mettre à l’écart, bien au contraire. Il faut que nous nous rappelions que nous sommes tous humains. Le virus de la covid nous le rappelle tous les jours, car lui ne différencie pas entre les hommes et les femmes quelque soit leur couleur, leur âge, leur nationalité ou leur condition sociale. La conciliation devient une évidence dans un espace humanisé. Dans ma musique, je chante ewe, français et anglais, des langues que je parle couramment. Demain, si j’apprends le japonais ou l’arabe par exemple, je les intégrerais à mes paroles. Je ne pense pas constructif de se cloisonner dans le piège de l’identité. L’homme est esprit avant d’être un corps. C’est ici même l’essence de l’être humain.
🟧 Dans le morceau "Asile", une phrase résonne dans nos esprits: "Tout corps surpris en train de réfléchir sera fouetté et ira enfer". Que devons-nous en déduire ?
Aujourd’hui, nous vivons dans une société où réfléchir n’est pas encouragé. Je viens du Togo, un pays sous dictature où le président après 30 ans de pouvoir a été remplacé par son fils. Le système nous apprend que la condition principale pour pouvoir avancer est de baisser la tête. Lorsque tu souhaites faire briller ta réflexion, on t’abat. Ce système de terreur est un souvenir de la décolonisation. Combien de nos pères et mères de la décolonisation ont été abattus, car ils ont revendiqué haut et fort leurs pensées libératrices. Mais quelle a été leur issue ? Une mort parfois et souvent violente où les assassinats sont filmés et diffusés pour marquer les esprits. Quel message donne-t-on finalement aux générations futures ? D’avoir peur de réfléchir, car le risque est mortel. Notre esprit est sommé de se soumettre.
La connaissance est partout mais elle n’est nulle part car elle manque de conscience.
🟧 Comment croire sans craintes en nos ambitions politiques ?
D'après moi, il est plus dur de ne pas mener la lutte que de l’abandonner. Cela me rappelle une phrase d’Amzat Boukari-Yabara, secrétaire général fédéral de la Ligue Panafricaine Umoja, dont je fais également partie, qui dit “Le désespoir de refuser de lutter et plus grand que la peur de lutter” .Lorsqu’on évoque la mise en place de projets politiques, il faut faire la différence entre la mobilisation et l’organisation. L’organisation permet de structurer et de protéger. Beaucoup de dirigeants ont été assassinés, car ils n’étaient pas protégés par des institutions fortes garantissant la protection de leurs membres. Ce n’est pas pour rien que certaines organisations comme l’OTAN existent…Ce sont ces institutions qui nous manquent aujourd’hui pour garantir la viabilité de nos projets politiques.
🟧 Comment es-tu passé de la musique à la valorisation de l’artisanat ?
Je suis quelqu’un de curieux et ma créativité est la résultante de ma curiosité. Je ne me considère pas comme un designer, car mes créations répondent à ma volonté de créer des costumes de scène qui correspondent à mon univers. Quand j’étais un peu plus jeune, le style vestimentaire de beaucoup d'artistes m'inspirait. Tout comme eux, j’ai voulu me distinguer par mon propre style. J’ai donc plongé dans le monde de l'artisanat et plus particulièrement du textile.
J’ai appris grâce aux artisans la beauté et la diversité des tissus africains, hors wax. Pour rappel, le wax n’est pas un tissu africain. Il est inspiré d’un processus de fabrication indonésien et est fabriqué en Hollande. L'abondance des tissus en wax a mis à mal les artisans de tissus africains, notamment les imitations venant de Chine.
J’ai donc voulu valoriser ces textiles d'Afrique de haute qualité pour mes créations, dont le kente, l’indigo, le bogolan, etc. J’ai également appris que ces tissus étaient composés de messages. En effet, l’écriture n'est pas une nouveauté sur le continent africain comme on tend à nous le faire croire. Parmi les systèmes d’écriture dont j’ai pris connaissance, les symboles Adinkra issus de la philosophie Akan. Ces tissus sont des trésors car ils signifient quelque chose et mettent du temps à être fabriqués.
Je réalise également des accessoires dont des bagues qui s’inspirent de ces symboles. Lorsqu’on m’interpelle et que l'on me questionne sur elles, j'en profite pour raconter les concepts, idées et histoires que portent ces objets.Je tiens beaucoup à la valorisation et à la transmission de toutes ces connaissances. À travers mes créations, mon objectif est de créer de nouveaux espaces de connaissance, moins orthodoxes, mais qui marquent aussi les esprits.
Les canaux de connaissances classiques sont nombreux, surtout en France où livres, conférences et colloques se dénombrent en masse, mais lorsque j’y allais, peu de personnes noires y étaient. Encore une fois, je ne veux pas entrer dans un quelconque jugement de valeur, mais je me donne comme mission d’ouvrir de nouveaux canaux d'apprentissage.
Par exemple, mes musiques sont accompagnées de clips qui n’ont pas uniquement un objectif esthétique. Pour mon morceau “Aux impossibles imminents”, j’ai sorti une série de clips pour donner la parole aux gens que l’on ne remarque pas toujours: un fossoyeur, un taxi moto, une femme androgyne etc, car ils ont tous quelque chose à nous apprendre.
Tout mon art orbite autour de la marque Asrafo, c’est le nom de mon label de musique, mais également de mes créations. Le choix du nom Asfaro n’est pas anodin. Les Asrafos sont des guerriers qui combattaient les colons. Mais au-delà d’être des guerriers, ils sont les gardiens des temples et des connaissances ancestrales. C’est sous leur modèle que j’avance, moi, résistant contre l’ogre de la mondialisation.
🟧 Une actualité à nous partager ?
Tout d’abord la sortie de mon nouvel album en vinyle. J'ai choisi le vinyle car il propose une écoute qui peut se faire à plusieurs et où l’on prend le temps d’écouter la musique du début jusqu'à la fin. Une expérience musicale complète et profonde.
J’ai également sorti le clip de mon morceau "Le fardeau de ma lumière". C’est un clip dont je suis particulièrement fier , car à travers les images, j’ai pu retranscrire les messages dans les textes soit la spiritualité, la transmission, la tendresse et la bienveillance.
Finalement, du 26 au 28 mai à Lomé, je participerai aux Etats généraux du FCFA à l’ECO. Je participerai à 3 événements. Le laboratoire des monnaies du futur, un colloque pour penser le sens et la valeur des monnaies. Une exposition photo en collaboration avec un photographe allemand et un photographe chinois. L'animation d’un débat intitulé arctivisme qui donnera la parole à de jeunes africains qui ne comprennent pas la pertinence des indépendances dans un contexte où ils n’ont accès ni à l’emploi, ni à perspectives d’avenir. Cet événement sera dédié à Modibo Keïta, un des pères des indépendances qui était prêt à mettre la souveraineté de son pays au service d’une fédération. Un grand monsieur qui ne devrait pas quitter nos mémoires.
🟧 Un dernier mot?
©RFI.FR
Que l’on s’aime, que l’on s’entraide et que l’on ne cède pas aux tentatives de divisions. Un message d’amour lutte en somme.
Il est important de se rappeler que l’homme comme la femme sont tous les deux des êtres sacrés et qu’il est bon de créer une nouvelle entente bienveillante et respectueuse entre eux pour abandonner toute confrontation destructrice.
Enfin, j’ai conscience de la difficulté de chacun au quotidien, car nous nous battons pour vivre, payer des factures, élever des enfants et nous n’avons plus le temps de penser, de réfléchir et de nous penser. Mais n’oublions pas cet exercice, car il est essentiel à notre équilibre et fondamental à notre humanité.
Là où il y a amour et volonté, l'espoir prend racine...
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