Kintu est le premier roman de l’Ougandaise Jennifer Nansubuga Makumbi. L’intrigue s’ouvre en 2004 sur la mort violente de Kamu Kintu accusé à tort de vol. Face à cette injustice, c’est l’incompréhension. Mais cela est sans rappeler que c’est un Kintu et que sa mort n’est pas que le fruit d’une malchance...
Au royaume du Buganda
D’une page à l’autre, nous remontons au XVIIIe siècle, 250 ans plus tôt, au Royaume de Buganda pour retrouver Kintu Kidda, l’ancêtre de Kamu. Dans cette Afrique authentique, les descriptions sont denses et vives et les paysages transcendants. Nous retrouvons le récit africain authentique dans toute sa tradition, à l’image d’une société passée culturellement intense et ancrée. On ressent le récit envoûtant aux allures de contes et mythes qui illustrent une philosophie de la parole spécifique au continent.
Cette immersion dans le passé est brusquée par une gifle mortelle que Kintu Kidda porte sur son propre fils adoptif Kalema d’origine tutsie. Honteux de son geste, il préfère cacher le corps du petit au lieu de respecter les stricts rites funéraires pour la paix de l’âme. En guise de vengeance, le père de Kalema maudira Kintu Kidda et toute sa descendance.
Mémoire transgénérationelle
Nous retournons subitement, en 2004, le 5 janvier précisément, pour retrouver d’autres descendants malheureux de Kintu. En plus de Kamu Kintu, il y aura Suubi Nnakintu, Kanani Kintu, Isaac Newton Kintu et Miisi Kintu.
250 ans plus tard, la malédiction plane encore sans perdre de sa puissance. Les malheurs se suivent là où la malédiction guette. À chaque rencontre, nous lecteurs, essayons d’imaginer comment elle agira pour nourrir cette vengeance du passé.
L’histoire de chacun des descendants maudits est traitée individuellement. À chaque fois, elle débute un 5 janvier 2004. Nous lisons, pris par cette écriture vivante, leurs vies sur lesquelles le sort s’acharne sans qu’une échappatoire soit possible… À moins qu’une issue soit possible. L’expérience spirituelle africaine est omniprésente, dans le passé, comme dans le présent, bien que la spiritualité chrétienne ait pris le pas au fur et à mesure du temps.
"Le christianisme dérangeait l’esprit, sinon comment expliquer que Kanani ait fait abstraction de toute son humanité pour se transformer en bible ambulante ?"
Un passé qui continue à hanter le présent
La structure littéraire du récit donne beaucoup de dynamisme à la lecture. Tant dans les allez-retours historiques que les différents portraits qu’il contient. En effet, il couvre trois époques de l’histoire ougandaise : Le Buganda avant la colonisation, puis en période coloniale et enfin en plein cœur de la guerre entre l’Ouganda et la Tanzanie.
Le point de départ au Royaume du Buganda est un beau témoignage de l’auteur à l’histoire de son pays et surtout une aubaine pour nous de pouvoir le découvrir d’une manière romancée. Le cœur du récit met en perspective ce lien éternel avec notre passé, en bien ou en mal, ce lieu qui lui-même apporte des réponses à l’adversité, suffit-il d’en prendre conscience.
"L’esprit était une malédiction : sa capacité à retourner en arrière pour regretter et à se projeter dans l’avenir pour espérer et s’inquiéter n’était pas une bénédiction."
J’ai vraiment aimé lire ce généreux livre de 470 pages. C’est une lecture originale, tant par sa forme, son contenu historique que sa magie. La lecture est ainsi accessible et sans complexité. La traduction de certains mots en luganda aurait été fortement appréciée.
Jennifer Nansubuga Makumbi
Kintu a été publié en 2014 en anglais, mais a été traduit en français en 2019 pour être publié aux éditions Metaillé. Son premier roman de fiction a largement été acclamé par la critique, annonçant même qu’elle avait quelque chose de Chinua Achebe. Jennifer Nansubuga Makumbi est née en Ouganda où elle a étudié et enseigné la littérature anglaise. Elle a remporté le Commonwealth Short Story Prize en 2014 et le prix Windham Campbell en 2018.
Date de publication originale : 2014
🏆 Distinctions: Prix Transfuge du meilleur premier roman - 2019