Article rédigé par Meriyem KOKAINA
“Saisis ta chance ! Et fais-moi honneur ! Je ne te demande rien de plus. Le feras-tu ?”
L’enfance et ses doux souvenirs pour le monde qui nous entourait, douce nostalgie de pureté et d'innocence. Doux sentiments que nous livre Camara Laye à travers les plus lointains souvenirs de son enfant jusqu'à son envol dans le monde adulte.
Enfant de la Haute-Guinée (ou Guinée-Conakry ), curieux et innocent, il découvre et essaie d’apprivoiser le monde qui l’entoure. Curiosité qui le mène à jouer avec un petit serpent .. l’enfance ne connaît pas la peur. En déclenchant la colère de sa mère, il comprend que ce jeu malheureux représente un grand danger et ne tarde pas à la prévenir dès qu’il aperçoit un autre animal rampant. Curieusement, elle n'accorde pas le même traitement à “un petit serpent noir au corps particulièrement brillant”.
“Celui-ci, mon enfant, il ne faut pas le tuer: ce serpent ne te fera aucun mal; néanmoins, ne contredit jamais sa course” {...} Ce serpent, ajouta ma mère, est le génie de ton père”.
Un totem habité d’un génie garantit la protection et le succès de celui à qui il est affilié...
Son père,"lui qui commandait tous les forgerons de la région”, avait un noble statut car il travaillait les métaux dont le fer et l’or. Respecté dans la région, les femmes qui sollicitaient son art ne venait jamais seules mais accompagnées de leur griot qui commençait l’éloge du forgeron.
“ Le griot s’installait, préludait sur sa cora, qui est notre harpe, et commençait à chanter les louanges de mon père{...} j’entendais rappeler les hauts faits des ancêtres de mon père, et ces ancêtres eux-mêmes dans l’ordre du temps; à mesure que le couplets se dévidaient, c’était comme un grand arbre généalogique qui se dressait, et qui poussait ses branches ici et là, qui s’étalait avec avec ses cent rameaux et ramilles devant mon esprit”.
Il était temps désormais de quitter la ville de Kouroussa où il habitait avec ses parents. Il devait rendre visite à sa famille maternelle et se border des attentions de sa grand-mère tout en créant des souvenirs avec ses cousins et son jeune oncle Bô qui vivaient à Tindican.
“Je dis “ merveilles”, parce que Kouroussa est déjà une ville et qu’on n’y a pas le spectacle qu’on voit aux champs et qui, pour un enfant des villes, est toujours merveilleux”.
L’émerveillement n’était pas que le fruit que de cet environnement familial rempli d’amour et d'authenticité mais aussi celui d’une nature époustouflante et des fêtes qui accompagnaient l’arrivée de chaque saison. En décembre, c’était la saison sèche, “ la belle saison”, celle où la récolte du riz avait lieu.
“En décembre, tout est en fleur et tout sent bon; tout est jeune; le printemps semble s’unir à l’été, et la campagne, longtemps gorgée d’eau, longtemps accablée de nuées maussades, partout prend sa revanche”
La fête battait à son plein, les tamtams étaient de sortie pour accompagner les jeunes avec leur faucilles à la main, prêts à récolter le fruit de leur labeur.
“La même âme les reliait, les liait; chacun et tous goûtaient le plaisir, l’identique plaisir d’accomplir une tâche commune”
Ces souvenirs, ne quitterons jamais la mémoire de l’enfant qu’il était. Ces plaisirs simples qui lui permettait de vivre des sentiments si authentiques, de joie et de bonheur, de respect et de partage.
Les années passaient et l’adolescence approchait à grand pas, laissant derrière elle cette enfance bienheureuse… Il était temps d’entrer dans la société des non-initiés et de devenir un homme, un vrai.
“Cette société un peu mystérieuse - et à mes yeux de ce temps-là, très mystérieuse, encore que très peu secrète - rassemblait tous les enfants, tous les incirconcis de douze, treize ou quatorze ans, et elle était dirigées par nos ainés, que nous appelions les grands “ Konden”.
Les épreuves d’initiations consistaient à pousser les jeunes garçons à dépasser leur peurs et à maîtriser leurs émotions. Tout un cérémonial venait accompagner les épreuves auxquelles les initiés devaient faire face.
Une mise en scène, des plus réaliste avait lieu. Les jeunes initiés étaient accompagnés dans la brousse de leurs aînés afin d’affronter leurs plus grandes peurs.
“Rien que tu doives vraiment craindre, rien que tu ne puisses surmonter en toi. Rappelle-toi: tu dois mater ta peur, te mater toi-même ! Kondén Diara ne t’enlèvera pas; il rugit; il se contente de rugir. Tu n’auras pas peur ?”
Quelle plus grande peur que celle des lions, roi de la brousse. C’est cette peur qu’ils devaient tous dépasser. La cérémonie était tellement bien organisée, qu’ils n’y voyaient que du feu, alors que ce n’était qu'une mise en scène.
“Non ce n’étaient pas de vrais lions qui rugissaient dans la clairière, c’étaient nos ainés, tout bonnement nos aînés. Ils s’aident à cet effet de petites planchettes renflées au centre et à bords coupants, à bords d’autant plus coupants que le renflement central aiguise davantage le tranchant”.
L’initiation terminée, il était temps de passer aux choses sérieuses… la dernière étape avant le passage à l’âge adulte : la circoncision.
Ce moment n’était pas juste une opération physique et chirurgicale, elle relevait d’une forte symbolique par rapport aux nouvelles relations qu’il allait devoir entretenir avec ses proches.
“Je savais parfaitement que je souffrirais, mais je voulais être un homme, et il me semble que rien fût trop pénible pour accéder au rang d’homme.”
Circoncision faite, il était devenu un homme, un vrai. C’était officiel, il n’y avait plus aucun doute à avoir. Un sentiment de fierté le remplissait mais aussi de tristesse et de vide. Il était temps de dire au revoir à son enfance et à la douceur et l’amour de sa mère. C’était un homme désormais, la douleur, la tristesse, les câlins ne lui étaient plus permis.
“J’étais un homme! Oui, j’étais un homme ! A présent, il y avait cette distance entre ma mère et moi: l’homme ! C’était une distance infiniment plus grande que les quelques mètres qui nous séparaient.”
Les ruptures s’enchainaient subitement : rupture physique liée à sa circoncision, ruptures du lien maternel et désormais il devait quitter le foyer pour une nouvelle étape de sa vie d’étudiant. Les déchirures se succédaient mais étaient nécessaires. Il était temps de quitter le cocon familial. Malgré sa tristesse, celle de sa mère et de sa famille, il était temps de se créer un avenir, il était temps de devenir... un homme. Direction Conakry, où la seule option qu’il avait était de réussir.
Par sa réussite scolaire, il faisait honneur à sa famille et participait aussi à son épanouissement personnel. Bien que rempli de nostalgie, Conakry était désormais son foyer.
Conakry, belle ville moderne eu raison de son coeur. Elle lui offrait de nouvelles découvertes intellectuelles et les douces notes de ses premiers sentiments amoureux avec la jeune Marie.
“Marie m’aimait, et je l’aimais, mais nous ne donnions pas à notre sentiment le doux, le redoutable nom d’amour.”
A Conakry il effleurait un nouveau sentiment de bonheur.
“Je veux dire un bonheur sans mélange, un pur bonheur, ce bonheur-là même que le désir ne trouble pas encore. Oui, le bonheur plus que l’amour peut-être, et bien que le bonheur n’aille pas sans l’amour, bien que je ne pusse tenir la main de Marie sans frémir, bien que je ne pusse sentit ses cheveux m’effleurer sans secrètement m’émouvoir. En vérité, un bonheur et une chaleur ! Mais peut-être est-ce cela justement l’amour”
Conakry et son enseignement lui offrirent une nouvelle perspective de vie, un nouveau départ, toujours plus grandiose, toujours plus inattendu. C’était l’appel de la France, c’était l’appel de l’Université d’Argenteuil. Mais quelle décision prendre entre la tristesse de la séparation qui s’annonce et entre l’opportunité qui paraît impossible à refuser?
Finalement, le choix était fait, mais est-ce lui qui avait fait ce choix, où était-ce tout simplement le destin ?
“Chacun suit son destin, mon petit; les hommes n’y peuvent rien changer”
Le destin se découvrait à lui, sa nouvelle étape ne saurait tarder ni se voiler de plus de mystère, son destin était en France et il était prêt à le saisir.
“Puis l’hélice se mit à tourner, au loin mes oncles agitèrent la main une dernière fois, et la terre de Guinée commença à fuir, à fuir…”