Le départ
Au large du Sénégal se trouve un pays insulaire : Le Cap-Vert. C’est là que j’ai décidé de poser mes valises quelques semaines. Avant d’y aller, j’étais convaincue d’une chose, que c’était un pays fondamentalement africain.
Désormais de retour, ce voyage a déconstruit tout ce que je pensais savoir de ce pays à l’identité trouble, que l’histoire a coincée entre deux continents: l’Europe et l’Afrique.
En réalité, que savons-nous vraiment du Cap-Vert ? C’est un pays que nous évoquons très rarement, sauf pour murmurer les paroles de Sodade de Cesária Évora … ou quasiment jamais.
Je me souviens qu’avant de partir - comme quoi le hasard fait bien les choses - d’avoir eu l’occasion de rencontrer l’amie d’un ami, qui se trouvait être capverdienne. J’étais tellement contente à l’idée de la voir, l’occasion parfaite de récupérer quelques précieux conseils de voyage.
Musée de Cesária Évora - Midelo - Cap-Vert
Je dois vous avouer que je ne prépare pas vraiment mes voyages…j’ai la même règle qu’au cinéma : ne jamais regarder la bande-annonce ! Je laisse place à la surprise et non à la déception. Tout n’est que découverte! Fais assez marrant pour une control-freak …
Je suis ma propre contradiction, je l’assume, tout va bien 😜 ! Revenons à notre nouvelle amie capverdienne ! Au fur et à mesure de la discussion, nous en sommes venues à parler...d'histoire, haha, pour changer. Quelle ne fut ma surprise lorsqu’elle m’a avoué une chose à laquelle je ne me serais jamais attendu !
Attention, c’est l’instant drama, télénovela : Le Cap Vert n’a pas vraiment d’histoire. C’est un pays où les Portugais sont arrivés puis mélangés avec les Africains. Mais sinon, nous n’en savons pas plus. Dans ma tête…GROS BUG…mon cerveau était en mode : PARDON ??
En faisant quelques recherches, j’ai vite compris qu’elle n’avait pas dit ça par manque de connaissances, mais car c’était la version officielle de l’histoire capverdienne. Mes premières recherches sur le Cap Vert disaient :
« Pays découvert en 1460 par des navigateurs portugais, il fut un carrefour du commerce triangulaire. Le Cap Vert est un pays métissé entre l’Europe et l’Afrique. Il devient indépendant le 5 juillet 1975 grâce aux mouvements indépendantistes de la PAIGC menés par Amílcar Cabral ».
J’étais déboussolée…. ils n’existaient pas d’informations plus consistantes. Un flou complet demeurait quant à l’histoire des populations africaines qui y vivaient depuis le XVe siècle, voire plus… qui sait.
J’avais aussi appris que le pays avait changé de couleur de drapeau, passant des couleurs panafricaines à des couleurs... ressemblant plutôt à celle de l'Europe. Mais n'en faisons pas une polémique, disons un constat pour l'instant.
J’étais alors mille fois plus déterminée à aller au Cap-Vert, pour élucider le mystère, de ce peuple, qui se pensait, sans histoire.
Les témoignages
J’ai commencé mon voyage aux îles de São Vicente et Santo Antão. Là-bas, j’y ai croisé de vieilles connaissances que j’avais rencontrées en Éthiopie ( je vous raconterai cette époque de ma vie un jour )… Bon long story short 😄 , ils m’ont fait découvrir leurs îles respectives de la plus hospitalière manière qui soit. C’est l’instant dédicace, cœur cœur sur vous les amis <3. Sur ces îles, j’avais remarqué que les habitants n’étaient pas noirs de peau, mais plutôt clairs, métissés. Je me disais que c’était le reflet de l’histoire et des flux de populations de ces îles. Pourtant arrivée depuis quelques jours, je n’arrivais bizarrement pas à me sentir … je vais le dire « en Afrique ». Vous me direz… « À quoi t’attendais-tu , à voir des gens vivre dans des huttes… Vais-je tomber dans mon propre cliché ? Peut-être… Mais rien ne me rappelait l’Afrique, sauf peut-être le teint hâlé des gens. Mais au-delà de cela… L'ambiance était plutôt européenne.
En discutant avec mes amis, la question de l’identité s’ouvrait. Je leur demandais ouvertement s'ils considéraient le Cap-Vert plus comme un pays européen ou africain… ou l’inverse ?
Île de Santo Antao - Cap-Vert
Ils m’ont répondu que le Cap-Vert est un groupe de 10 îles qui ont toujours été inhabitées. Elles auraient été découvertes par le portugais Diogo Gomes en 1460 - une statue géante à son effigie trône au centre de la capitale en passant - . Les Portugais ont donc fait venir des Africains uniquement pour le commerce triangulaire et depuis tout le monde s’est métissé. Gros baby-boom de métisses. Ils considéraient donc que les Portugais étaient quelque part leurs ancêtres et donc qu’ils ne pouvaient pas les accuser de leur avoir volé quoi que ce soit, car ils les avaient créés, mis au monde.
J’avais la bouche entrouverte jusqu’au sol … j’attendais toujours le moment où ils me parleraient de leurs ancêtres de l’autre côté du métissage : les Africains. C’était le néant. Non pas qu’ils le réfutaient, bien au contraire, mais ils n’en avaient aucune connaissance.
Ciudad Velha - île de Santiago - Cap-Vert
Ils me racontaient que l’histoire qu’il avait étudiée à l’école ne faisait aucun écho de la partie concernant les Africains, sauf au travers du prisme de l’esclavage. Ils en savaient plus de l’histoire portugaise et surtout de ce que le Portugal leur avait laissé comme histoire. Naturellement, les Capverdiens étaient davantage tournés vers le Portugal, car on leur contait que leur histoire faisait partie de l’histoire portugaise.
Après ces surprenantes discussions, j’ai décidé de prendre mon sac pour aller sur l’île de Santiago. Tout le monde me disait : « Ah Santiago c’est l’Afrique, les gens sont noirs, tu verras c’est différent ». J’accueillais l’information avec humour, je ne sais pas pourquoi, mais bon, j’allais enfin aller en Afrique, Rions. J’étais donc enthousiaste à l’idée de parcourir cette île, qui allait enfin me révéler la partie africaine de l’identité capverdienne.
En atterrissant sur le tarmac, effectivement, j’essayais de prêter attention à la couleur de peau des gens. Ils étaient plus noirs, c’est vrai. Mais bon, cela ne me disait pas tout sur la façon dont ils se définissaient. À l’arrivée, Edyong m’attendait, un des plus gros slameurs de l’île. Sur la route, une des premières choses qu’il m’a dit non sans peu de fierté, était que Santiago était l’île la plus africaine d’un Cap-Vert et qu’il était très heureux d’être Africain. C’était un Badiu, autrement dit, un rebelle descendant d'africains en créole.
Le contraste entre Santo Antao, São Vicente et Santiago était sans conteste opposé au sujet de la question identitaire capverdienne. Discussion entamée, il me révélait la même chose concernant l’éducation nationale : elle ne leur avait rien appris de leur héritage africain. On leur parlait des Portugais sans jamais évoquer les Africains que sous le prisme de l’esclavage ou de la lutte indépendantiste sous la figure emblématique d’Amílcar Cabral.
Un autre ami, président d’une association littéraire, m’avait révélé que Mindelo, ville phare de São Vicente, avait pour souhait de devenir la capitale du Cap-Vert, à l’instar de Praia qui était à Santiago. Les raisons d’après elle étaient qu’elle offrait une meilleure éducation et surtout qu’elle avait un mode de vie plus européen. Il était des Sampadiu, des descendants d'européens. À l’opposé de Praia, plus africaine. Il révéla que ces tensions levaient aussi des problématiques de colorisme latent dans le pays.
Tous ces échanges m’avaient beaucoup aidé à y voir un peu plus clair sur la question identitaire du Cap Vert. Après ces témoignages, je voulais voir ce que l’histoire officielle proposait. Étape ultime pour construire ma conclusion. Mais, à ma grande surprise, l’histoire n’avait quasiment rien gardé du passage de l’Afrique entre le VIe et le XXe siècle.
Les musées, garants de la mémoire collective ?
Le musée archéologique ne proposait que des objets des navigateurs européens, à l’exception d’une chaîne d'esclave. À Ciudad Velha, première ville construite à la fin du XVe siècle pour l’installation des Portugais et le développement du commerce des esclaves, il ne restait plus qu’un Pelourinho, destiné à la flagellation des esclaves. Mais aucune plaque, aucun mémorial ou musée ne venaient clarifier cette partie de l'histoire . J’étais désorientée par ce vide…et pourtant à Santiago, les habitants se disent fièrement être des Badiu. Où est donc passée l’histoire de leur lutte, de la libération? Cette histoire a laissé les Capverdiens avec des questionnements identitaires, qui n’auront peut-être jamais de réponse. Une histoire qui les a éloignés de l’Afrique malgré eux peut-être.
Et pourtant, les capverdiens, consciemment ou inconsciemment, exprimaient leur identité africaine partout dans leur culture: dans les rythmes de des tambours des musiques Batuku ou du Funana, dans le carnaval de Mindelo qu'ils célébraient fièrement avec la parades des Mandingas - rappelant surement des populations africaines venant du pays mandingue -, dans leur langue créole qu'ils utilisent principalement et non le portugais ou tout simplement, au camaieu des couleurs de leur peau ...
Carnaval de Mindelo - Costume de Mandinga
Malgré cela, au grand marché de Sucupira, les commerçants Sénégalais et Guinéens, principaux flux de migrations économique de l'île, m’expliquaient que beaucoup de Capverdiens les appelaient les Africains, car ils ne se considéraient pas réellement ainsi. Ils parlaient de leur intégration parfois difficile, car ils étaient souvent considérés comme des étrangers.
De l’autre côté, j'observais les propriétaires d’hôtels majoritairement européens qui prônaient la gentillesse et l’hospitalité des capverdiens, et oh comme quoi l’installation a été facile. Deux poids deux mesures face aux flux migratoires… sommes nous surpris ? Personnellement oui, car le Cap-Vert se veut africain.
Accepter la réalité
La réalité géopolitique et diplomatique du Cap-Vert ne levait aucun questionnement quand à l'africanité du Cap-Vert. Faisant partie de la CEDEAO, la libre circulation des personnes et marchandises était garantie dans toute l'Afrique de l'ouest. Rappelons-le, l’Europe exige des visas à tous les citoyens capverdiens - bien que certains de leurs grands-parents aient obtenu la nationalité portugaise jusqu’aux indépendances -.
Peut-être qu’un des blocages dans cette intégration serait la langue ? En effet, le Cap-Vert se sent plus proche des pays lusophones faisant partie du PALOP (Pays africains de langue officielle portugaise). En Afrique de l’Ouest, les langues officielles majoritaires restent le français et l’anglais.
Après tout ce cheminement, il serait ridicule de penser que le Cap-Vert est européen, réfuter l'histoire le serait aussi. Aujourd'hui, c'est un pays qui vit sa singularité dans une grande passivité. Mon seul souhait que leur mémoire collective soit reconstituée pour fermer la brèche de leurs doutes identitaires et trouver leur place au sein de l'amitié africaine.
Mais pensez-vous que le Cap-Vert ne soit pas une exception et que d'autres pays souffrent du même trouble identitaire ?