Article rédigé par Meriyem KOKAINA
Le Seigneur m’envoyait à Fès? J’y suis. afin d’invoquer un marabout? Parfait. Je fermai les yeux: “ Marabout n’importe lequel, je t’invoque, mon père est ruiné, fais quelque chose”. Je les rouvris.
La lecture de ce roman m’a beaucoup perturbé, tant dans sa violence que dans sa quête : quête d'honnêteté, de vérité, de sens et d’explications. Il contient un tourbillon de révolte contre le système, la religion, la condition féminine, le protectorat, le conflit générationnel et identitaire dans un Maroc en pleine lutte pour son indépendance.
La lecture s’articule en cinq chapitres laissant apparaître une réflexion raisonnable et apaisée:
1- Les éléments de base
2- Période de transition
3- Le réactif
4- Le catalyseur
5 - Eléments de synthèse
Mais, en réalité, elle se construit autour d'une vive colère et d'un émoi continuel.
“Ma religion était la révolte”
Dans le premier chapitre, le narrateur Driss Ferdi, fils du notable Haj Fatmi Ferdi, dresse le tableau de sa famille. Apparaît un père sévère qu’il appelle "Seigneur" instaurant la terreur dans son foyer. Sa mère, femme soumise, terrorisée et effrayée par le monde et son époux est noyée dans une dépression dont elle n'apparaît même pas avoir conscience. Driss évolue dans une fratrie de sept enfants dont Camel plongé dans l’alcoolisme qui se révèle aussi être un mécanicien à ses heures perdues. Le récit s’ouvre en plein mois de ramadan où le narrateur s’insurge contre la religion et la pratique creuse de certains. Dans ce système qu’il juge archaïque, Driss se révolte sans jamais perdre son souffle dans des discours plein d’insolence où il ne manque pas de défier l'autorité de son père.
“J’ouvris la fenêtre toute grande. Ma chambre était noyée d’ombre. Je ne voulais pas de lumière. Respirer? Respirer quoi? L’air soi-disant pur du dehors, frémissement nocturne, épluchures des cuisines, amalgame d’urine, de rosée, de crottes de cheval et de ciment frais, détritus des marchés, bouche putride des pauvres-et, par-ci par-là, coup de poing dans ce pseudo-endormi, l’aboiement du mendiant. Mais aussi: cette maison en face de moi, ce pâté de maisons, ce derb, à des seigneurs identiques au Seigneur emplissaient et vidaient lentement des théières. Je refermai soigneusement les volets et je fus dans le noir complet”
Au second chapitre, Driss est sommé d'accompagner sa mère dans la ville de Fès, dont elle même est originaire. Sa mission : invoquer un marabout pour qu'il vienne en aide à son père désormais ruiné.
“Le Seigneur m’envoyait à Fès? J’y suis. afin d’invoquer un marabout? Parfait. Je fermai les yeux: “ Marabout n’importe lequel, je t’invoque, mon père est ruiné, fais quelque chose”. Je les rouvris.
A Fès, son oncle lui présente le fquih Kettani, qu’il considère comme un truand. Il lui répond avec la plus grande insolence mais le fquih finit par lui trouver une certaine finesse et sympathie suite à des discussions et débats mouvementés.
Quelques jours plus tard, il apprend la mort de son petit frère Hamid. Le troisième chapitre commence et Driss est rappelé de facto à Casablanca. Le réactif réagit d’une façon difficile à comprendre. Il n'a pas vraiment de peine pour son petit frère mais plus une sorte de nostalgie et bien évidemment une colère contre un père qu'il accuse de refuser la paternité à ses enfants.
“Vous allez peut-être me souffler dessus et me réduire en fumée? Je ne crois plus aux mille et une nuits. A condition, dis-je, que vous vous résigniez à transformer votre théocratie en paternité. J’ai besoin d’un père, d’une mère, d’une famille. Également d’indulgence, de liberté. Ou alors il fallait limiter mon instruction à l’école coranique.Une légère réforme que vous pourriez m’accorder sans qu’il soit porté atteinte à votre souveraineté puisque je reste sous votre tutelle. Le bourricot a grandi, il lui faut à présent trois sacs d’avoine. Et n’essayez pas de me soutenir que justement vous n’avez cessé d’être un père hors série, chose que moi, je n’ai cessé d’ignorer. Je vous répondrais que ce tarbouch qui nous sépare est un potiron.”
“De nous, habitués à la servilité, à vous le tout-puissant sur nos corps et nos âmes, un crachat ne peut être qu’une glorification”
Sa colère lui vaut sa mise à la porte par son père. De son départ il demanda support et abri à ses amis mais aucun d’eux ne soutenu vraiment sa rébellion.
“Je tiens à ce que tu saches que je n’ai aucune prévention contre toi et que je n’ai pas à te juger. Si tu t’es fâché contre ton père, je ne puis jouer ni les supporters ni les médiateurs”
Errant dans les rues, il finit par passer son baccalauréat qu’il obtient avec mention même. A la réception des résultats il se dirigea de nouveau vers sa maison, vers le Seigneur…
A son arrivée, un drap plein de sang recouvrait le corps de sa mère. Elle avait décidé de se suicider en se jetant des hauteurs de la maison. C’est à se moment que le seigneur conçoit de baisser les armes.
“Le monde a changé. La première personne qu’aime un homme, c’est soi-même. Mais s’il a des enfants son plus cher désir est qu’ils soient meilleurs que lui en tout point.”
Dans le dernièr chapitre, on découvre un père beaucoup plus fragile et transparent que le début qui accepte d'ôter sa carapace qu'il avait sacralisé. Il parle à Driss de ses concubines, ses bâtards et affaires tout en sirotant des verres d’alcools et fumant des cigarettes. La stature initiale du père en marbre s’effrite. Driss qui garde sa colère y est tout de même sensible.
Une nouvelle relation se crée entre les deux hommes, la colère laisse place à une amitié naissante. Une amitié qui désormais se fera à distance car le Seigneur décide d'envoyer son fils en France pour étudier et revenir construire le Maroc avec ses nouveaux acquis. Driss découvre les joies de la paternité qui jusque là lui avait été refusé.
“Quant à toi seigneur, je ne dis pas : adieu. Je dis à bientôt”
Au début, je n’ai pas vraiment apprécié le livre, tant dans sa violence, son négationnisme, sa condescendance et sa colère. Une lecture qui m'a paru émotionnellement épuisante. Cependant je compris petit à petit la volonté de bousculer les choses pour un monde meilleur.
Néanmoins je reste intriguée par ce style d’écriture complexe, qui m’était jusque là méconnu mais dont je reconnais la finesse littéraire. Je suis agréablement surprise par une fin où tout se découvre, le système représenté par le père qui reconnait ce qu’il est, ses failles, ses envies, sa vision et d’un fils qui, apaisé, s'émancipe pour voler de ses propres ailes.
Je vois un parallèle avec le Maroc d'aujourd'hui qui se bat contre ses contradictions. Un Maroc qui veut évoluer sans perdre son identité mais qui choisit parfois un chemin qui n'est pas en accord avec ses valeurs d'antan. Que doit-il donc garder? Une question où le Maroc peine à trouver une réponse...