La belle ne se dévoile guère aux yeux profanes, même si aux aurores elle émerge d’un mirage rosé.
Où est Célestine ? … Vous êtes pris au dépourvu et ne savez pas quoi me répondre ? Je vous comprends… J’éprouve le même sentiment de gêne et j’adopte une réaction qui nous est commune face à ce genre de situation : je détourne les yeux et fais mine de ne rien avoir entendu, rien avoir vu.
Mais nous ne pouvons pas continuer à faire mine de rien. Nous devons aller voir Célestine et assumer que la misère dans laquelle elle se trouve n’est que la résultante de notre indifférence déguisée en compassion superficielle. Mais qui est cette Célestine, me direz-vous…
Comme vous insistez, je vais vous raconter son histoire. Elle est la mère biologique de Malaïka appelée Maya, l’héroïne du livre d’Abdourahman Waberi dans son roman Aux Etats-Unis d’Afrique. Maya est une caucasienne, d'origine européenne adoptée par un couple d'Africains qui part à la recherche de sa mère biologique, Célestine qui vit en France.
"Mieux qu’un pèlerinage, c'est l'appelle du sang, la quête des origines, la grève vers laquelle tendent les vagues de tes jours."
Votre curiosité s’élève, je le ressens. Eh oui, ce n’est pas la configuration classique du schéma d’adoption interracial où généralement, ce sont les enfants du tiers-monde qui sont adoptés par des occidentaux, venant sauver ces pauvres enfants de la misère. J’insiste sur le mot de tiers-monde, car bien que cette expression ne soit plus d’usage même dans le langage scientifique, c’est encore ainsi que l’Occident perçoit la partie du monde qui ne trouve pas satisfaction dans le modèle d'existence qu’il impose. Le tiers-monde, un monde à part, marginalisé, incomplet.
Cependant, dans le roman de Waberi, le monde dans lequel il nous plonge n’a rien de courant. C’est un monde “à l’envers”, où d’un point de vue géopolitique et géoéconomique, le Sud devient le Nord et le Nord le Sud. Les pauvres riches et les riches pauvres, les développés sous-développés et les sous-développés développés. L’Occident devient l'Afrique et l’Afrique l’Occident.
Dans ce monde, l’Afrique jouit de son hégémonie, de sa puissance et de sa richesse sans vraiment se soucier du monde en effondrement qui l’entoure en refusant toujours de reconnaître son implication dans son précipice. Un monde en souffrance assujetti, en perte de repères à qui la dignité et la vérité lui est refusée et ceux depuis la nuit des temps.
"Ports enfin nourris, pendant une tripotée de siècles, par le bois d’ivoire en provenance de toute l'Europe, surtout des pays slaves, acheminé jusqu’au cul de L'Afrique en passant par l’Asie Mineure, la Palestine et l’Arabie heureuse. Or donc, de cette traite millénaire, de ces comptoirs, de ces plantations de céréales et de canne à sucre, pas d’échos dans la mémoire."
Dans le monde que Waberi propose, on ne sait pas grand-chose de l’Europe, à part qu’elle concentre la misère du monde. Et que fait l’Afrique entre-temps ? Elle la juge, lui jette quelques miettes de sa richesse… Fais quelques missions humanitaires et lui promet une aide aussi superficielle que creuse.
"Si les gouvernements étrangers, y compris le nôtre, veulent vraiment améliorer la situation en Occident, ils peuvent faire plus et mieux que d’entrer dans les jeux diplomatiques, multiplier les réunions stériles, cajoler les dictateurs, tenir de grands discours tout en leur vendant des armes."
C’est un récit alarmant, déchirant que nous propose Waberi. Car en retournant le monde comme un sablier, nous réalisons que nous nous sommes habitués à vivre dans un monde inégalitaire, injuste sans aucune morale. Car en retournant la situation nous réalisons que nous avons donné à la misère une origine, à la richesse une autre.
Maya a eu le courage de voir Célestine et se confronter à ce monde auquel elle appartient aussi finalement, cette Europe où vivent encore ses racines bien que elle, trouve son identité pleine en Afrique. Mais à sa rencontre, elle décide de rebrousser chemin et de retourner dans son lieu d’adoption, une situation préférable après tout...
"Tu ne pouvais plus continuer à côtoyer cette absence, à tutoyer ce trou noir collé à tes basques. Tu as vu et tu as foulé du pied le lieu qui t’a vu naître. De ta génitrice, tu garderas le plus vif souvenir.. Tu l’aideras mais tu te camperas à distance. Pour ton bien et pour le sien."
Maya aura elle aussi détourné les yeux de Célestine … Et nous… Continuerons-nous à en détourner les yeux ?
Dans un style épistolaire, Waberi donne la parole à Docteur Papa, le père adoptif de Maya pour nous raconter cette histoire. La gymnastique d’écriture sera présente à travers un rythme à forte consonance poétique et métaphorique. De ce style, une difficulté quelque peu présente de s’approprier l’objet de l’intrigue en début de lecture. Mais c'est un texte fondamental car la vision qu’il nous présente nous fait réfléchir sur le monde d’aujourd’hui, mais aussi sur le monde de demain que nous ne voulons pas.