Lorsque l’on pense aux explorateurs, l’histoire occidentale s’agite et cite avec panache ses grands noms, à savoir Christophe Colomb, Magellan, Vasco de Gama et j’en passe. Pour ce qui est de l’histoire coloniale, elle se fait un peu plus "discrète", mais n’hésite pas à évoquer Mungo Park, Stanley, Livingstone, Brazza ou Caillé...
« 1492 » : Cette date est marquée au fer rouge dans nos esprits. C’est l’année de la "découverte" de l’Amérique par Christophe Colomb: un jour béni pour l’histoire occidentale car il marque le début de l’entreprise d’exploitation du monde pour son profit économique et son développement technologique. Pour les Amérindiens, cela fut synonyme de génocide et pour les Africains déportés, le début d’un crime contre l’humanité. Tout est une histoire de point de vue historique…
L’occident aurait donc découvert l’Amérique, le fleuve Congo, les pyramides, des pays entiers et les a renommés à ses goûts. Quelque part, l’occident n’est pas dans l’erreur, car effectivement, il a découvert le monde selon son propre prisme.
Ce tableau de 1846 représente Christophe Colomb et les membres de son équipage sur une plage des Antilles après leur arrivée à bord de son célèbre navire Santa Maria, le 12 oct. 1492. Le tableau a été commandé par le Congrès américain et installé dans la rotonde du Capitole en 1847.
Néanmoins, l’histoire nous révèle que les Occidentaux n’ont pas été les premiers à se lancer dans l’exploration du monde ni ceux à créer les premières routes commerciales entre les différents continents. Dès l’antiquité, le royaume d’Aksoum, fort de son impressionnante flotte, était déjà un carrefour commercial entre l’Inde et l’Empire romain.
Dans le sud-est de l’Afrique, les Swahilis étaient des commerçants hors pair qui développaient des relations commerciales avec l’Asie et l’Arabie. Une anecdote raconte qu’ils avaient offert à l’empereur chinois Ming Yongle une girafe. Cela avait fait grande impression à l’époque ! C’est avec Zeng He, explorateur chinois, que ces échanges se sont multipliés. Dès 1414, le sultan swahili de Malindi décide d’inaugurer des relations diplomatiques avec la Chine.
Et si je vous proposais une autre histoire de l’exploration du monde, celle des Afriques et de ses grands voyageurs ? Commençons le récit avec Aboubakari II, Mansa du grand empire du Mali.
L'histoire d'Aboubakari II
L’empire mandingue est à son apogée. Aboubakari II règne sur le pays le plus riche du monde, le pays exportateur d’or et maître de Tombouctou, la ville de l’excellence universitaire. Malgré son statut, une idée le hante depuis des années ; découvrir ce qui se trouve au loin à l’horizon, là, derrière la mer. Il décide alors de dépêcher une flotte de 200 pirogues pour faire ce chemin vers l’inconnu. Pendant longtemps, les revenants se sont fait attendre. Eh puis un jour, miracle, une seule pirogue parmi les 200 était de retour. Son capitaine raconta son périple et les dangers qu’il rencontra. Il était revenu au Mansa avec ce discours :
Illustration de l'article The adventures of Abubakari II rédigé par Patrick Kinsella et publié sur le magazine BBC History Revealed
« Oui, ô Sultan, nous avons voyagé pendant un long moment jusqu’à ce qu’il apparaisse en pleine mer [pour ainsi dire] une rivière avec un courant puissant. Le mien était le dernier de ces navires. Les [autres] navires sont allés de l’avant, mais lorsqu’ils ont atteint cet endroit, ils ne sont pas revenus et on n’en a plus vu et nous ne savons pas ce qu’ils sont devenus. Quant à moi, je m’en suis allé aussitôt et je ne suis pas entré dans cette rivière. »
Il n’en fallait pas plus pour convaincre Aboubakari II de constituer une plus grosse flotte dont il serait, cette fois-ci, le capitaine pour réiterer cette exploration. La flotte comptait alors 2000 bateaux ou pirogues dont 1000 transportaient les navigateurs, femmes et griots, puis 1000, chargées d’or et de vivres pour ce long voyage. Personne ne sait, à ce jour, quelle a été la destinée de cette flotte. Beaucoup d’historiens estiment que l’histoire d’Aboubakari II n’est que de l’ordre de la légende, mais certains élements issues de la recherche viennent déconstruire cet a priori.
Mansa Abubakari Keita II du Mali, tranversant l'Atlantique en 1311, à la tête de son armada phénoménale de 2000 bateaux, partie des côtes du Sénégal et de la Gambie actuels.Illustration de l'African-Americain Kephra Burns.
Selon les recherches de Gaoussou Diawara, synthétisées dans son livre Abubakari II : Explorateur mandingue , il existerait de nombreux indices concernant de l’influence de la culture africaine en Amérique pendant l’époque précolombienne. Par ailleurs, il considère qu’Aboubakari II aurait accosté dans la ville de Purnanbuco au Brésil, nom qui serait une déformation de l’expression malienne « Boure Bambouk », qui signifie «champs d’or », référant au richissime royaume du Mali.
Le voyage d’Aboubakari II est loin d’être le fruit de l’imaginaire. En effet, son présumé successeur Kankan Moussa, lors de son pèlerinage à la mecque, s’est entretenu avec le gouverneur du Caire, qui lui a demandé comment il a obtenu son trône. Ce dernier lui répond :
« Nous appartenons à une maison qui transmet la royauté par héritage. Mon prédécesseur ne croyait pas qu’il était impossible de découvrir la limite la plus éloignée de l’océan Atlantique, et souhaitait vivement le faire. “(…) il s’embarqua sur l’océan Atlantique avec ses hommes. Ce fut la dernière fois que nous l’avons vu, ainsi que tous ceux qui étaient avec lui, et je suis donc devenu roi à part entière. »
Ce récit est conté dans l’encyclopédie de l’historien al Umari dans on livre Masalik Al-Absar datant de 1300 ou 1349. Bien que reconnu dans le monde scientifique. Malheureusement ce livre est INTROUVABLE, sauf en arabe.
L'histoire d'Aboubakari II s'est vu éffacée des mémoires... et pourtant nombreuses sont les indications qui démontrent des expéditions maritime d'Afrique de l'Ouest comme le montrait déjà la Carta Magna datant du XIIème siècle ou la carte Mecia de Viladestes datant de 1413, présentée ci-dessous:
Mecia de Viladestes 1413 ( à gauche de la carte, un bateau à voile)
Pour en savoir plus, je vous invite FORTEMENT à visionner la vidéo d'Afrochronik qui a fait un excellent travail de recherche sur l'épopée de ce roi mandingue.
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Premiers contacts entre l'Afrique et l'Amérique
Les échanges entre l’Amérique et l’Afrique pourraient même dater de l’époque égyptienne. En effet, de nombreuses études révèlent la présence de nicotine et donc de tabac sur les momies embaumées. La première découverte se fait sur le corps de Ramsès II en 1976 par l’historienne Christiane Desroches Noblecourt. Cependant, il est avéré que le tabac n’était pas une plante africaine à l’époque, mais bien américaine. Face à la surprise des scientifiques, des échantillons de l’embaumement de la momie sont envoyés en Angleterre, mais aussi en Allemagne, pour confirmation. Encore une fois, les scientifiques confirment la présence de tabac. En 1992, Svetla Balabanova, toxicologue et médecin légiste du laboratoire du musée des antiquités égyptiennes de Munich découvre, en plus de la présence de tabac, de la cocaïne sur les momies du musée. Problématique en effet, car ces deux plantes restent d’origine américaines et n’étaient pas censées avoir d’ores et déjà foulé le sol africain. Les hypothèses qui en résultent seraient: la confusion avec d’autres plantes déjà existantes en Afrique, ou… la présence d’échanges commerciaux entre les deux continents.
De nombreuses thèses viennent questionner la véracité de ce récit, l’accusant de vanter une pensée afrocentriste. À vous donc d’en juger…
Ville de Tombouctou
Et pour ne pas céder à nos penchants afrocentristes (bouuuuh...lol) , je pense qu’il est intéressant de mentionner les récits écrits d’historiens et d'explorateurs africains de l’époque, à savoir Tarikh As-Soudan de Abderrahmane Es Saâdi, rédigé au XVII, qui est à ce jour une référence dans l’histoire de l’Afrique ou encore Mahmoud Kati, auteur de Tarikh el-fettach, rédigé au XVIe siècle. Tous deux, faisant partie des manuscrits de Tombouctou. Et pour finir, les cahiers de voyage d'Ibn Batuta...
Les autres explorateurs africains
Aboubakari II ne sera pas le seul grand explorateur de l’histoire africaine. Un des plus connus se révèle être Ibn Batuta, jeune explorateur originaire de la ville de Tanger au Maroc. À 21 ans, il décide de faire son pèlerinage à la mecque. Il en fera 4 en empruntant à chaque fois différents chemins. Pendant plus de 25 ans, il a parcouru l’Afrique du Nord, puis l’affiquet subsaharien et l’Afrique de l’est. Il s’est même rendu en Asie en passant par l’Arabie. Un voyage de plus de 120 000 km, dont il a écrit les mémoires et qui sont aujourd’hui disponibles en plusieurs langues. Ibn Batuta est aujourd’hui enterré à Tanger.
Ibn Battuta
On retrouve aussi le récit d’une expédition lancée par le pharaon Nékao II, qui aurait envoyé des Phéniciens explorer l’Afrique par la mer au XIIe siècle. Ils auraient commencé par la mer rouge, puis par le cap de bonne espérance, pour enfin revenir en passant par le détroit de Gibraltar. Ce récit, que l’on appelle le périple des marins de Néchao, est d’ailleurs raconté par » Hérodote, un géographe grec.
« J’admire d’autant plus ceux qui ont décrit la Libye*, l’Asie et l’Europe, et qui en ont déterminé les bornes, qu’il y a beaucoup de différence entre ces trois parties de la terre : car l’Europe surpasse en longueur les deux autres ; mais il ne me paraît pas qu’elle puisse leur être comparée par rapport à la largeur. La Libye montre elle-même qu’elle est environnée de la mer, excepté du côté où elle confine à l’Asie. Nécos, roi d’Égypte, est le premier que nous sachions qui l’ait prouvé. Lorsqu’il eut fait cesser de creuser le canal qui devait conduire les eaux du Nil au golfe Arabique, il fit partir des Phéniciens sur des vaisseaux, avec ordre d’entrer, à leur retour, par les colonnes d’Hercule, dans la mer Septentrionale, et de revenir de cette manière en Égypte. »
La Libye* : nom donné à l’Afrique
Un autre récit, encore plus vieux, nous raconte le voyage d’Hannon le Navigateur, jeune carthaginois, ayant vécu 500 ans avec JC. L’histoire prétend que son expédition maritime l’aura mené jusqu’aux portes du Cameroun. Son récit se trouve sur une stèle du temple Ba’al-Hammon à Carthage, en Tunisie.
L'afrocentrisme, premier accusé ?
Qui a dit que l’Afrique n’était qu’explorée et qu’elle n’avait jamais pensé à explorer ? Nous voici, déconstruisant une des idées préconçues des plus répandues sur les civilisations africaines. Malheureusement, je trouve que la plupart des explorateurs mentionnés dans mon article sont souvent décriés et la véracité de leurs textes ou de leur existence questionnée. L’afrocentrisme reste le premier accusé dans cette histoire . Mais, refuser la manière dont d’autres peuples voient le monde, n’est-ce pas cela le plus grand risque que l’histoire en tant que science prend… ?
Pour en savoir plus, n’hésitez pas à consulter la bibliographie ci-dessous :
- Gaoussou Diawara. (2010). Abubakari II : Explorateur mandingue. L’Harmattan.
- I.V.S. (2013). They Came Before Columbus : The African Presence in Ancient America. Random House Trade Paperbacks ; Reprint édition.
- Loude, J. Y. (1994). Le roi d’Afrique et la reine mer (Terres d’aventure) (French Edition) (1re éd éd.). Actes Sud.
- Pathé Diagne. (2014). Bakari II (1312) et Christophe Colomb (1492) : A la rencontre de Tarana ou l’Amérique. L’Harmattan.
Page consultées:
- https://rcf.fr/culture-et-societe/lentretien-de-la-semaine?episode=14940
- https://www.pressreader.com/uk/history-revealed/20200123/281642487121272
- http://www.slate.fr/story/206495/civilisations-afrique-mers-explorateurs-maritime-histoire-antiquite
- https://www.lisapoyakama.org/lorigine-africaine-de-la-civilisation-en-amerique-ancienne/
- https://www.e-taqafa.ma/dossier/ibn-battuta