Article à 4 mains, en collaboration avec Rokia de Africcan. Visiter son site internet
« Société secrète », ces mots fascinent à eux seuls. Au-delà des paysages paisibles que peut offrir la beauté du continent, sont protégés par quelques initiés les mystères de la nature et des mondes invisibles.
La maîtrise de ces mystérieuses connaissances est une chose précieuse qui se transmet à ceux qui sont conscients de la valeur de ce qui leur est enseigné. Il doivent l’apprendre, la mémoriser et la protéger pour pouvoir en garantir la plus authentique transmission.
Ces connaissances sont nécessaires et fondamentales car elles garantissent l’équilibre du monde, l’équilibre entre ce que l’œil voit et ce que le cœur ressent : l’équilibre entre les mondes visibles et les mondes invisibles.
Avec Rokia du blog Africcan, nous vous proposons une immersion, avec la permission des Ancêtres, de ces mondes inconnus.
Qu’est-ce que l’initiation ?
Doumby Fakoly, dans son livre Initiation et sociétés secrètes kamites, nous dit que:
« L’initiation kamite est un temps d’apprentissage de la connaissance et de la pratique de la tradition fondatrice de la société »
Ces connaissances s’enseignent de différentes manières notamment par l’art de la parole. En effet, les contes, mythes, proverbes, devinettes et énigmes viennent stimuler la curiosité et la réflexion de l’esprit.
« Le conte est souvent un mythe reconstruit aux fins d’initier les profanes à certaines vérités inaccessibles »
La transmission orale est privilégiée. La raison : garder et protéger les connaissances les plus précieuses, les plus secrètes, de plus, les exercices de mémorisation font intégrante de l’initiation.
« Les exercices de mémoire occupent-ils une place importante dans la formation des jeunes filles et des jeunes garçons ; particulièrement celles et ceux destinés à la Prêtrise ; c’est-à-dire à la rétention des Invocations et Incantation, des Évocations »
En réalité, le temps d’initiation dure quasiment toute une vie. Doumby Fakoly, ajoute que : « l’intégralité de l’initiation kamite comporte 7 phases d’une durée de 7 années chacune. Soit un cycle de 49 années ».
Quel est le but d’une société secrète?
Comme l’enseignent la spiritualité et la philosophie de l’Égypte ancienne, la réalité ne relève pas uniquement du monde visible, mais aussi du monde invisible. Les initiés doivent veiller à maintenir l’équilibre entre la partie visible et invisible du réel. Dans le cas où cet équilibre est perturbé, ils doivent agir grâce à leurs connaissances secrètes pour l'apaiser. Je vous renvoie pour plus de clarté au livre La méthode de la philosophie africaine de Mbog Bassong.
« C’est le lieu où l’on découvre que la spiritualité est la gestion harmonieuse des rapports du monde invisible au monde visible »
Cela donne aux initiés beaucoup de responsabilités au sein de leurs sociétés. Ils sont les protecteurs et garants de l’ordre et des traditions. Ils assurent également le respect de leur environnement en servant d’intermédiaires entre les leurs, les forces de la Nature et leurs Ancêtres.
De nombreuses sociétés secrètes africaines ont évolué tout au long des derniers siècles. Certaines sociétés étaient connues pour regrouper des guerriers comme les Aniotas du Congo, les Kwifon au Cameroun ou les Asafo au Ghana, d’autres pour être des sociétés thérapeutiques comme les Kun'gang chez les Bapas ou les Ngui ou socioreligieuses comme les Komos chez les Bambaras.
Découvrons aujourd’hui, une société secrète de femmes Akan, les KÔMIANS qui jusqu’aujourd’hui continue à former des initiées.
Les Kômians: prêtresses Akan
Dans la culture akan de Côte d'Ivoire, les Kômians étaient jadis craintes et admirées pour leurs connaissances et leur rôle de médium vis-à-vis des esprits. Le mot « kômian » pourrait être traduit par « Va le consulter quand tu te retrouves dans des problèmes », ou « Va vers Dieu », lorsqu’il est écrit « Kômien ».
Groupe essentiellement composé de femmes et de filles, généralement vêtues de percale blanche et d’amulettes, le corps enduit de kaolin et les pieds nus, les prêtresses sont détentrices d’un grand pouvoir mystique. Elles sont consultées pour leurs connaissances des plantes médicinales, mais aussi pour leur « pouvoir » leur permettant de conjurer le mauvais sort et de prédire l'avenir. Les Kômians interviennent dans l’intronisation du roi ou d'un chef. Leurs pouvoirs de guérison et de prévention sont mis au service de la collectivité, elles signalent notamment les éventuels malheurs planant sur le village, les mauvais sorts jetés par des ennemis, etc. Des « maris jaloux » viennent très souvent les consulter pour retrouver de la stabilité dans leur couple, de même que les femmes, pour un mari volage.
Leur danse de possession, ahô ou ahoé, est exécutée pour conjurer le mauvais sort et les maladies, mais aussi pour faire tomber ou arrêter la pluie, selon les besoins du moment. La Kômian participe aussi à la cohésion et à la stabilité des régions.
Leur place dans la société moderne est remise en cause par leurs détracteurs, en particulier les églises évangéliques, qui dénoncent avec toujours plus de force des pratiques ancestrales obscures. Un centre de formation appelé « Centre initiatique des Kômians Adjoua Messouma d'Aniansué » a été fondé en 1992 pour maintenir la pratique vivante en formant des jeunes filles. Une fois formées, les féticheuses diplômées peuvent s'installer dans leur village pour y exercer, tout en conservant parfois une autre activité.
Que retenir ?
Les sociétés secrètes, un monde mystérieux et magique ? Je ne pense pas… Je dirais plutôt un monde de savants sensibles à la beauté du monde et de la Nature. Des érudits qui recherchent l’équilibre entre la science, l’histoire, l’art, la philosophie
Cela dépend de comment nous voyons le monde… Aujourd’hui nous le regardons sous notre paradigme, de nous les Africains, fascinés par l’apprentissage de notre façon de penser et de définir le monde.
Pour en savoir plus :
- D’Eburnie, A. (2019). Vie de komian. Editions Edilivre.
- Doumbi Fakoly, (2020). Initiation et sociétés secrètes kamites. MAAT KEM.
- Doumbi Fakoly, (2005). Introduction à la prière négro-africaine. MENAIBUC.