"Les soleils des indépendances sont impropres aux grandes choses ; ils n’ont pas seulement dévirilisé mais aussi démystifié l’Afrique"
Un prince Malinké au temps des indépendances ? Qu’est-ce que cela pouvait encore signifier en présence des nouvelles et imposantes structures fraîchement héritées du monde colonial ? Fama, un de ces princes déchus se noyait dans la définition de cette nouvelle place que le soleil des indépendances acceptait de lui faire.
“ Fama Doumbouya ! Vrai Doumbouya, père Doumbouya, mère Doumbouya, dernier et légitime descendant des princes Doumbouya du Horodougou, totem panthère , était un “vautour”. Un prince Doumbouya !"
Quelle société primera, laquelle gardera du crédit ? L’Ancien ou le Nouveau Monde ? Une cohabitation serait-elle envisageable ou la confrontation sera l’unique réponse?
“Lui, Fama, né dans l’or, le manger, l’honneur et les femmes ! Eduqué pour préférer l’or à l’or, pour choisir le manger parmi d’autres, et coucher sa favorite parmi cent épouses ! Qu’était-il devenu ? Un charognard"
© Seydou Keïta
Dans ce nouvel ordre, le prince errait dans les rues de la capitale cherchant un nouvel objectif de vie et la mission que lui avaient destinés ses ancêtres mais en vain. L’univers lui avait retiré sa grandeur passée et lui avait en plus refusé le droit à la paternité. Son épouse Salimata n’arrivait pas à enfanter et pourtant, personne n’avait plus grande bonté que Salimata, douceur et générosité.
“Quelle malédiction talonnait-elle ? Pourtant, Fama pouvait en témoigner, elle priait proprement, se conduisant en tout et partout en pleine musulmane, jeûnait trente jours, faisait l’aumône et les quatre prières journalières. Et que n’a t-elle pas éprouvé ! Le sorcier, le marabout, les sacrifices et les médicaments, tout et tout."
Salimata ne souhaitait qu’une seule chose, avoir droit elle aussi à ce cadeau du ciel.
“Un enfant un seul! Oui, un bébé ! Unique imploration sur cette terre”
Un vœu continuel qu’elle faisait et que s'il se réalisait lui ferait peut-être oublier ses douleurs les plus profondes. Ce vœu unique qui lui donnera une pleine expression de sa féminité; féminité qu’on lui avait volée à travers l'excision et le viol qu’elle avait subi.
Le viol ! Dans le sang et les douleurs de l’excision, elle a été mordue par les feux du fer chauffé au rouge et du piment.Elle a crié, hurlé. “
Et pourtant, ce viol ne sera jamais dénoncé. L’auteur du crime, le féticheur Tiécoura, cet homme au "regard criard de buffle noir de savane " sera innocenté, l’excuse étant toute trouvée :
“C’était le génie sous la forme de quelque chose d’humain qui avait tenté de violer dans l'excision et dans le sang “.
L’excision faisait d’elle une femme désormais. Malgré le traumatisme récent, elle sera promise au mariage à Baffi qui lui rappelait en tout point Tiécoura. “Baffi puait un Tiécoura séjourné et réchauffé, même démarche d’hyène, même yeux rouges de tisserin, même voix, même souffle; il résonnait en Salimata et la raidissait.
"Refusant de se donner à lui lors de la nuit de noce, on l’accuse d’être possédée par le même génie qui l’avait violé."
Seule la fuite était solution. Décision qu’elle décide de prendre, traversant brousses et montagnes environnantes jusqu’à s’essouffler de fatigue. C’est là que Fama croisa chemin.
“C’était Fama, l’amour, une vie de femme mariée, la fin de la séquestration”
De cette union, la volonté de vivre sa féminité en devint une obsession. Obsession qui nourrit ses troubles jusqu'à la pousser à vivre une grossesse imaginaire. Le docteur avait appelé cet état “ une grossesse nerveuse” et les Malinkés “ une grossesse de génie”.
Lorsque la vie ne voulait pas prendre dans le ventre de Salimata, la vie s’éteignait une nouvelle fois dans la lignée des Doumbouya. La mort avait appelé le cousin Lacina.
“La suprême injure qui ne se presse pas, ne se lasse pas, n’oublie pas, s’appelle la mort “
Fama retournait au village de Horodougou avec les honneurs d’un nouveau roi Malinké.
“Fama fut salué par tout Bindia en honoré, révéré comme un président à vie de la République.”
Mais les hommages ne dépassaient pas le petit territoire Malinké. Territoire dont les règles n’étaient plus les mêmes que celle du nouveau monde régi par le soleil des indépendances.
“- Je m’en f… des Doumbouya ou des Konaté, répondit le fils de sauvage de douanier”.
Aujourd’hui nouveau roi, sa responsabilité était de faire perdurer la lignée noble des Doumbouya.Il se marie avec Mariam et retourna en ville. Mais le ventre s'arrondissent de Mariam fit exploser le ménage et les rivalités entre les co-épouses.
“Tout ce qui se passait entre Mariam et Salimata avait été pourtant bien prévisible; on ne rassemble pas des oiseaux quand on craint le bruit des ailes.”
Prince Malinké aujourd’hui, il était temps pour lui de devenir un prince de la politique du nouveau monde. Mais la politique nouvelle ne suivait pas les codes de la chefferie et des coutumes malinké. Les règles étaient autres car venant de loin...
“La politique n’a ni yeux, ni oreilles, ni coeur ; en politique le vrai et le mensonge portent le même pagne, le juste et l’injuste marchent de pair, le bien et le mal s’achètent et se vendent au même prix”
En prince de la nouvelle politique, sa destination sera finalement la prison. Ce n’était toujours pas ici qu’il trouvera sa place de noble Malinké. La déception était encore plus forte lorsqu'à sa sortie il apprit que ses deux épouses avaient refait leur vie. Désormais une seule solution s’offrait à lui, le retour à Togobala du Horodougou, seul endroit de ce monde en mutation qui lui rendrait dignité à lui et à sa lignée. Aux frontières de sa terre, le monde des indépendances lui refusa l’entrée car ne le reconnaissant pas ? Il n’était pas en mesure de présenter une pièce d’identité. De ce fait, comment l’identifier sans que le nouveau monde ne puisse l'identifier officiellement.
Ce dernier affront il ne pouvait l’accepter, lui de la grande lignée de Doumbouya, on lui refusait l’entrée au siège de ses ancêtres, à sa terre, seul endroit sur Terre qui reconnaissait sa grandeur. Refusant ce nouveau système il finit par être abattu par les gardes forestiers aux frontières. Les nouvelles indépendances tuant les dernières lignée comme l’avait prédit la tradition de l’ancien monde.
“Il était prédit depuis des siècles avant les soleils de indépendances, que c’était près des tombes aïeux que Fama devait mourir”