Article rédigé par Meriyem KOKAINA
Que représente la vie pour un homme ainsi opprimé?
Une lecture unique qui s’annonce dans le témoignage rare d’un enfant de la traversé du commerce triangulaire, Equiano, que la providence a renvoyé vers la liberté pour que lui même puisse la défendre.
“Equiano a ouvert la voie aux écrivains d’origine africaine qui, après lui, se sont levés contre le colonialisme en démontrant la capacité des Africains à reprendre leur destinée en main”
Une lecture singulière qui rapporte le regard afrocentré de cette traite, souvent contée par l’écriture européenne dominante.
Ce livre s’articule autour de trois grandes parties de la vie d’Equiano. Son enfance, où il peint un tableau de la vie quotidienne qu’il y menait en décrivant sa culture, sa société et traditions, qui s'arrêta violemment par son rapt et passage de négrier en négrier jusqu'à sa traversée vers la Barbade. Puis de cette île, commence son périple d’homme captif qu’il mènera sur les bateaux de commerce et de guerre, jusqu'à acquérir sa propre liberté et commencer son plaidoyer pour la libération des esclaves opprimés. A travers une personnalité et une identité nouvelle marquée par la victoire de sa liberté gagnée grâce à une émancipation économique et ses relations parmis les plus grand abolitionnistes, il fera du récit de sa vie, un événement clé dans la lutte contre l'esclavage.
De son enfance, il retient une vie aux coutumes simples, sans luxe ni superficialités. Un pays riche et fertile où tout pousse en abondance. Mais aussi une structure sociale où la hiérarchie faisait loi et où les anciens n’étaient jamais loin. Conception sociale similaire à beaucoup d’autres cultures et sociétés africaines.
“Après nous être lavé les mains nous procédons à la libation en versant une petite partie de la boisson au sol, et en servant une petite portion du repas à une place déterminée, pour les esprits de parents défunts que les indigènes considèrent comme des esprits dirigeant leur conduite et les protégeants du mal.”
Par ailleurs, ce récit nous apprend que le rapt était un danger bien identifié et que les enfants étaient éduqués à la vigilance.
“Généralement, pendant que les adultes du voisinage étaient allés loin dans les champs pour travailler, les enfants se rassemblaient dans l’une des propriétés du voisinage pour jouer; et ordinairement certains d’entre nous grimpaient sur un arbre pour rester vigilant à toute attaque, ou au rapt d’enfants.”
Cependant malgré la vigilance, le sort ne manqua pas de frapper, et Equiano, tout comme son unique soeur furent kidnappé.
La peur, la tristesse et le désarrois prennent le pas. Les enfants ne savent pas ce qu’il adviendra d’eux d’autant plus que leur séparation ne vient qu’intensifier ces sentiments confus. Des terres intérieures jusqu'à son arrivée à la côte, il passa de maison à maison illustrant le flux et chemin de ce trafic. Sur les chemins des ports négriers, l’effroi commence à le hanter à la vue des Noirs enchaînés les uns aux autres les yeux remplis de souffrance et de désespoir. Les négriers n’arrivent aucunement à le rassurer d’autant plus que la vue des hommes Blancs renforce sa peur face à l’inconnu auquel il fait face.
“Je leur demandai si nous n’étions pas destinés à servir de nourriture à ce hommes blancs aux regards horribles, aux visages rouge et aux cheveux longs”.
Equiano rongé par la peur n’arrive pas à comprendre quel sort lui sera réservé au bout de cette traversée, au vu du comportement et la barbarie de l’équipage à bord, il imagine le pire.
“ Je craignais d’être mis à mort, car les Blancs semblaient et agissaient, ainsi que je le pensais, d’une manière si sauvage: je n’avais jamais vu de tels cas de cruauté barbare chez un peuple; et elle n’était pas uniquement exercée envers nous les Noirs, mais aussi envers les Blancs.”
La mort était salutaire face à ces traitements barbares et ces conditions de voyages dégradantes où puanteur et torture étaient opérés, où femmes, enfants et hommes étaient enchainés, l’air pur et la nourriture digne leur étant interdits. Même choisir la mort comme destinée leur était refusée.
“Toutefois, deux pauvres malheureux se noyèrent, mais il eurent l’un d’entre eux et, par la suite, le fouettèrent sans pitié pour avoir ainsi essayé de choisir la mort plutôt que l'esclavage.”
Les scènes s'enchaînent et ne laissent place qu'à l’horreur, ne présageant rien de bon. A l’arrivée, les esclaves sont regroupés comme du bétail, et les enchères commencent pour chaque lot d’homme né libre devenu captif de force.
Dans la deuxième partie du récit, lui Equiano, arraché de sa terre et devenu homme captif, décrit l’horreur des traitements auquels étaient destinés ses compatriotes Noirs. Entre coup de fouets, port de la muselière, viol et pédophilie… les scènes choquantes ne manquent pas.
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Le salut d’Equiano régnait dans la bienveillance que lui vouait un de ses maîtres, le capitaine de la Marine Royale, Michael Henry Pascal qui ne le traita pas avec la violence régulière faite aux esclaves. Leur première mission avait pour destination l’Angleterre, où sa curiosité était mise en éveil par ce nouveau monde, laissant petit à petit derrière lui sa peur. C’est dans ce nouveau monde qu’il trouva les nouvelles marques de son identité. Il se mit à apprendre à lire et à écrire, et se tourna vers la religion chrétienne en souhaitant se faire baptiser.
Son sort n'était pas des plus à plaindre, tant la bienveillance de son maître l’accompagnait. Cependant, ses compatriotes Noirs n'étaient pas épargnés par l'inhumanité de leurs maîtres. La cruauté des actes vis à vis des esclaves Noirs atteignait son paroxysme, tortures, sévices corporels. L'inexistence justice, l’irrespect et la terreur nourrissaient cette barbarie humaine. L’humanité n’avait plus lieu d’être face à cette déshumanisation des races.
“A cause de ces cruautés incessantes, les pauvres misérables sont d’abord poussés au désespoir, puis assassinés, parce qu’ils gardent toujours en mémoire beaucoup de choses de la nature humaine, au point de vouloir souhaiter mettre fin à leur misère, et se venger contre leurs tyrans”.
La providence avait bon vent autour de l’auteur qui à partir de 3 pence commença un commerce très rentable d’achat et de revente de marchandises diverses.
“Après avoir navigué un certain temps avec ce capitaine, je tentai finalement de saisir ma chance et de débuter un commerce. Je n’avais qu’un très petit capital pour commencer; puisqu’une seule moitié de pièce équivalant à trois pense en Angleterre constituait mon capital”
Le chemin ne fut pas simple, entre escroquerie, vols et intimidations notamment lors des transactions avec les Blancs et actes de racismes violents et brutaux. Mais la persévérance et la détermination sont bons compagnons. Il y avait sens à poursuivre le combat car l’émancipation économique était son salut, son unique chance de regagner son statut d’homme libre.
De sa dernière mission en Sierra Léone, Equiano, devenu Gustavus Vassa, est nommé commissaire du gouvernement pour l’expédition en 1798. Une expédition dite de philanthropes destinées à “ renvoyer les Africains dans leur pays d’origine” dite des Noirs Déshérités. Cette expédition qui se conclura par un échec, par une fausse accusation de corruption contre Gustavus pour mauvaise gestion des comptes lui fera bonne promotion auprès des Seigneuries lorsque sa bonne foi fut prouvée. Le 21 mars 1788, il parvient même à adresser à la Reine une pétition plaidant la cause de africains en mettant en reliefs les conditions atroce de leur exploitation.
“L’oppression et la cruauté, pratiquées aux malheureux nègres la-bas, ont finalement touché le corps législatif britannique, et ils délibèrent actuellement sur sa réparation : même plusieurs personnes possédant des esclaves dans les Indes-Occidentales ont adressé une pétition au parlement pour s’opposer à sa continuité.”
Se termine la lecture par la nécessité de reconstruire une relation plus équilibrée entre l’Angleterre et le continent Africain en créant une économie profitable pour tous, présentant l’Afrique comme un marché intéressant. L’idée consistant à créer de nouveaux besoins aux Africains les poussant à consommer anglais et qui donnerait sens à l'abandon de l’esclavage.
“Il s’agit de commercer sur des bases saines.”
Aujourd’hui, nous y sommes, l’esclavage est terminé... la mondialisation est née... nous consommons anglais, occidental, mais avons nous réellement gagné notre liberté ?
«Ils ont appelé ça le Black Power. Pour moi, c'était le pouvoir de l'humanité ou le cri de liberté.»
Tommie Smith, jeux Olympiques 1968