Articlé rédigé par Meriyem KOKAINA
“Le Noir ne doit plus se trouver placé devant ce dilemme: se blanchir ou disparaître”
Je me rappelle avoir terminé la lecture de cet essai puis de l’avoir ouvert de nouveau pour en entamer une seconde lecture. Lors de la première, j’ai compris que j’étais face à un livre qui abordait les explications de certaines profondes blessures de l’identité noire. Cet ouvrage est plus qu’un essai, c’est une proposition inévitable à se questionner sur un élément fondamental : que veut dire être noir dans un monde où le discours est à dominante banche ?
Pourquoi le relire une seconde fois ? Car j’avais besoin d’être imprégné par la puissance de chaque ligne. Et je pense même que deux lectures restent insuffisantes.. Peut-être vais-je le relire encore une centaine de fois :) #NotAJoke
Les essais de Frantz Fanon sont ceux qui me permettent d’explorer les éléments psychanalytiques(1) et métaphysiques(2) qui expliquent les mécanismes de la psychologie raciale d’oppression et des névroses humaines et sociales qui se sont produites et continuent à se produire en abordant notamment la problématique de la désaliénation du Noir qui reste d’une profonde nécessité car inachevée.
Peau noire, masques blancs. Le titre parle de lui-même. Il questionne les névroses issues de troubles reliant deux identités : la Blanche et la Noir. Mais ce livre est surtout une clé qui permet la libération de l’homme et est surtout une sorte de discussion avec soi-même pour casser de lourdes réalités sociales encore ancrées aujourd’hui afin de s’en libérer.
Je pose humblement ma première analyse de cet ouvrage. Je me donnerai comme défi de le relire plusieurs fois pour toujours aller plus loin dans ma réflexion. Je ne me limiterai pas à simplement vous conseiller ce livre, mais, à vous inviter à vous en imprégner autant de fois que possible, car c’est un éclaireur, un rappel, un besoin, une projection et un vecteur de réponses qui vous mènera au plus profond de votre être.
La pensée de Frantz Fanon s’articule en sept chapitres. Les trois premiers abordent la question de l’attitude de l’homme et de la femme Noire face au monde Blanc. Le premier objet d’étude sera l’impact de l’adoption d’une nouvelle langue, en exemple: la langue française.
“Parler, c’est être à même d’employer une certaine syntaxe, posséder la morphologie de telle ou telle langue, mais c’est surtout assumer une culture, supporter le poids d’une civilisation.”
Il explique que l’adoption de la langue française écrite et parlée reste un vecteur dominant dans la construction de l’identité du Noir tant elle le tire vers la volonté de devenir ce que représente cette langue soit la culture blanche et in fine, de devenir cette culture, de devenir blanc.
“ Tout peuple colonisé - c’est-à-dire tout peuple au sein duquel a pris naissance un complexe d'infériorité, du fait de la mise au tombeau de l’originalité culturelle locale se situe vis-à-vis du langage de la nation civilisatrice, c’est à dire de la culture métropolitaine.”
Il explique en parallèle que le Noir veut être blanc et que le Blanc s’acharne à réaliser une condition d’homme. De ce fait, seul le Blanc est associé à une condition d’humanité à l’inverse du Noir. Ainsi en mimant le Blanc jusqu’à faire croire qu’il en est un, il s’approche des conditions qui feront de lui en homme. C’est à travers ce rapport transversal que les comportements d’infériorité ou de supériorité s'exacerbent.
Il met aussi l'accent sur les variations d’éléments de langage qui au-delà de la couleur visible de peau permettent de classer les Noirs qui la pratique. Par exemple, l’Antillais s’entêtera à parler encore mieux que le Blanc pour être considéré comme un homme de valeur. Aussi, on parlera un français moins évolué avec le Noir, ne se donnant pas la peine de parler un français correct avec lui, car, n’étant pas à la hauteur d'un langage supérieur à sa condition d'homme inférieur ou n’ayant pas les capacités de s’y élever. Et finalement, sera critiqué le Noir ne maîtrisant pas parfaitement la langue française à la différence d’un autre caucasien. La raison: le noir n’a pas de racine, ne vient pas d’une grande civilisation, le noir ne mérite pas la considération, ni le respect, car il est inférieur.
“Je rencontre un Allemand ou un Russe parlant mal français. Par des gestes, j’essaie de lui donner le renseignement qu’il réclame, mais ce faisant, je n’ai garde d’oublier qu’il a une langue propre, un pays, et qu’il est peut-être avocat ou ingénieur dans sa culture. En tout cas, il est étranger à mon groupe. Dans le cas du Noir, rien n’est pareil. Il n'y a pas de culture, pas de civilisation, pas ce “long passé d’histoire”.
Dans un seconde temps, il abordera les rapports entre la femme Noir et l’homme Blanc puis entre l’homme Noir et la femme Blanche.
“C’est par l’intérieur que le Noir va essayer de rejoindre le sanctuaire blanc. L’attitude renvoie à l’intention.”
Concernant la femme Noire, il prend comme support d’analyse les romans de Mayotte Capécia -Je suis martiniquaise- et d’Abdoulaye Sadji -Nini- pour analyser le complexe d’inférioté des femmes Noires qui cherchent une reconnaissance et une élévation sociale à travers l’union avec un Blanc. Un phénomène que Fanon appelle l'éréthisme(3) affectif.
© https://www.montraykreyol.org/
“C’est parce que la négresse se sent inférieure qu’elle aspire à se faire admettre dans le monde des blancs. Elle s’aidera dans cette tentative d’un phénomène que nous appellerons éréthisme affectif.”
Il analyse le même phénomène chez les hommes Noirs qui y trouvent une reconnaissance de leur élévation morale et sociale, s’étant détaché de leur condition d’homme inférieur Noir.
“Chez certaines personnes de couleur, le fait d’épouser une personne de race blanche semble avoir primé outre autre considération. Elles y trouvent l’accession à une égalité totale avec cette race illustre, maîtresse du monde, dominatrice des peuples de couleur.”
Dans un quatrième chapitre, il réalise une critique de Maud Mannoni(4) et des théories annoncées dans son ouvrage : Psychologie de la colonisation : étude de rapports psychologiques qui régissent les rapports entre indigènes et colonisateurs.
Il décortique et déconstruit son étude et certaines théories racistes qui y sont développées en insistant sur le fait que “ le racisme colonial ne diffère pas des autres racismes". D’autres écrivains comme Aimé Césaire se sentaient quelque peu révoltés par les théories de Maud Mannoni.
Au niveau du chapitre cinq est abordé l’expérience du Noir au sein du monde Noir.
“Les nègres, du jour au lendemain, ont eu deux systèmes de références par rapport auxquels il leur a fallu se situer. Leur métaphysique, ou moins prétentieusement leurs coutumes et les instances auxquelles elles renvoyaient étaient abolies parce qu’elles se trouvaient en contradiction avec une civilisation qu’ils ignoraient et qui leur en imposait”.
Difficile de traverser ce passage qui apparaît comme le plus lourd psychologiquement à accepter tant il montre le combat interne du noir par rapport à son identité et à l’acceptation de sa condition dans un monde qui ne lui offre que l’inexistence.
Pourquoi mettre fin au racisme est-il source de débat ?
De plus, il revient sur les associations culturelles et images construites autour de l’homme Noir nourrissant l’infériorité qu’il doit représenter dans une société à dominante blanche.
“Sentiment d’infériorité ? Non, sentiment d’inexistence. Le péché est nègre comme la vertu est blanche. Tous ces Blancs réunis, le revolver au poing, ne peuvent pas avoir tord. Je suis coupable. Je ne sais pas de quoi, mais je sens que je suis misérable.”
Les trois derniers chapitres seront dédiés à la psychologie et à psychopathologie(5) de l’homme noir.
Un point qui aura vraiment marqué mon esprit concernant l’analyse de la psychologie noire est que dans les sociétés européennes, la structure familiale et la structure de l’Etat entretiennent des rapports étroits, car régis par les mêmes principes. Il continue en précisant que “ La famille blanche est le dépositaire d’une certaine structure. La société est véritablement l’ensemble des familles. La famille est une institution qui annonce une institution plus vaste : le groupe social ou national”. Il oppose à ce principe la famille antillaise où ce principe n’est pas applicable, car cette dernière n’a pas de lien avec la structure de l’Etat. De ce fait : “L’Antillais doit alors choisir entre sa famille et la société européenne.”
Enfin, il termine l’essai par le cheminement dans la volonté du Noir à trouver une reconnaissance dans un monde qui persiste à le dévaloriser. En résulte une névrose généralisée, car le Noir va chercher à se valorisant alors qu’il est dans un corps dévalorisé.
“L’Antillais passe son temps à se comparer car il est préoccupé par son auto-valorisation. Si l’autre me renvoie une image négative, je le dévalorise. C’est une société de névrosés.”
Triste constat que de réaliser que cette société existe toujours et continue de lutter contre les prisons raciales dans lesquelles le Noir et le Blanc ont été et se sont emprisonnés. Dur cheminement qui nous attend encore contre les chaînes mentales qui oppressent encore l’humanité dans son apaisement et dans la construction de sociétés où l’asservissement de l'autre et la domination seront enfin considérés par tous comme contre nature.
La libération des chaînes mentales est une activité individuelle et surtout commune qui doit stimuler une réflexion émancipatrice constructive. Fanon pose la littérature comme un des fondements de cet exercice de réflexion.
“La littérature s’engage de plus en plus dans sa seule tâche vraiment actuelle, qui est de faire passer la collectivité à la réflexion et à la méditation : ce travail voudrait être le miroir à infrastructure progressive, où pourrait se retrouver le nègre en voie de désaliénation. “
À partir de cet outil, j’ose croire que nous pourrons toujours suivre comme précepte ou mode de pensée, la volonté de toujours nous questionner et de réfléchir sur l’amélioration de nos sociétés à la tolérance encore bancale, refusant le statut quo et pensant un avenir nouveau.
“ O mon corps, fais de moi toujours un homme qui interroge ! “
Définitions:
- (1)Psychanalyse: méthode d'investigation psychologique visant à élucider la signification inconsciente des conduites et dont le fondement se trouve dans la théorie de la vie psychique formulée par Freud.
- source : https://www.larousse.fr/
- (2)Métaphysique: science de l'être en tant qu'être, recherche et étude des premiers principes et des causes premières, connaissance rationnelle des réalités transcendantes et des choses en elles-mêmes.
- source : https://www.larousse.fr/
- (3)Éréthisme: Passion dévorante, excitante
- source: https://www.linternaute.fr/
- (4)Maud Mannoni, née Magdalena Van der Spoel le 22 octobre 1923 à Courtrai (Belgique) et morte à Paris le 15 mars 1998, est une personnalité de l'éducation et une psychanalyste française d'origine néerlandaise.
- source : https://fr.wikipedia.org/
- (5)Psychopatologie: branche de la psychologie qui a pour objet l'étude comparée des processus normaux et pathologiques de la vie psychique.
- source : https://www.larousse.fr/