La première édition du salon du livre africain de Paris vient tout juste de se clôturer. Ces trois jours ont été riches en rencontres et en découvertes littéraires. C’était d’ailleurs la première fois que le livre africain était célébré en capitale française. Il y avait de nombreux auteurs africains venus du continent et de France, des maisons d’édition françaises et africaines et des tables rondes tentant de répondre à différentes problématiques d’actualité autour du livre et du continent. Alors que le salon touchait à sa fin, une question commençait à trotter dans mon esprit. Je me demandais finalement ce qu’était en réalité “la littérature africaine”? En effet, nous étions tous venus célébrer les livres africains. Mais en réalité, nous étions tous en France, célébrant un aspect de la littérature francophone.
Ne laissant jamais mes interrogations sans réponses, j’ai décidé de répondre à cette question :D
La littérature désigne l’ensemble des productions écrites et orales à but esthétique ou intellectuel. Avant de parler de littérature africaine, j’ai essayé de chercher comment étaient définis d’autres espaces de littérature comme par exemple l’européenne ou l’asiatique.
Il s’avère que la littérature européenne désigne l’ensemble des littératures qui se sont développées dans les différentes langues du continent européen. Généralement, elles sont segmentées selon une logique nationale. Ainsi la littérature européenne se compose de la littérature espagnole, française, hongroise, etc. De même pour la littérature asiatique. D’un autre côté, si nous prenons la définition d’une littérature nationale comme l’australienne, elle se définit comme " l’œuvre écrite ou littéraire produite dans la région ou par les habitants du Commonwealth d'Australie”. La littérature étasunienne, quant à elle, regroupe les auteurs qui ont produit leurs œuvres aux Etats-Unis et qui parlent des Etats-Unis en anglais. Il faut noter qu’aux États-Unis, seulement 1 % de la production de livres est consacré à la littérature française.
De fait, si l’on synthétise, lorsqu’on associe la littérature à une région ou à un pays, on la caractérise par son lieu de production, son thème portant sur la région, sa langue et l’origine de l’auteur.
Si nous appliquons cette logique à la littérature africaine, elle devrait se définir comme un genre littéraire regroupant les œuvres écrites et orales produites en Afrique ou par les habitants du continent qui parlent de sujets concernant l’Afrique et utilisant les langues du continent.
Pour vérifier cette hypothèse, faisons un petit tour historique de la littérature africaine. Il y a de cela quelques millénaires, des civilisations africaines ont inventé des systèmes d’écritures et des philosophies à l’origine de productions écrites et orales qui ont traversé les âges. Je réalise dans un premier temps un rapport naturel entre littérature et système d’écriture, car l’écriture assure un moyen d’expression que les habitants ont voulu mémoriser et marquer dans le temps.
L'Égypte ancienne compte une des plus antiques littératures de l’histoire de l’humanité. Des traces de ces récits ont été retrouvées en hiéroglyphes et en écriture hiératique sur des rouleaux de papyrus ou sur des murs de pierre des monuments d'Égypte.
De même pour la littérature berbère en Afrique du Nord. En effet, ces populations, dites Amazighs, antérieures aux conquêtes arabo-musulmanes d’Arabie, avaient développé un système d’écriture, le tifinagh pour retranscrire la langue tamazight. Ce système d’écriture a été réhabilité au Maroc en 2011, en faisant une langue officielle, permettant la reconnaissance de la culture berbère. De même en Algérie en 2016.
La civilisation punique, née en Tunisie, a également créé des corpus de textes scientifiques et philosophiques qui ont eu beaucoup de succès auprès des Grecques et de l’Empire romain.
L'Éthiopie, quant à elle, utilise le système d'écriture guèze, une très ancienne tradition littéraire, dite amharique, qui remonte à l’époque axoumite. La philosophie écrite éthiopienne s'étend sur douze siècles de production littéraire. Elle connaît une période de traduction littéraire, dominée par Le Fisalgwos (Le Physiologue) et Biä’afä Mikael (Le Livre des philosophes).
En Afrique subsaharienne, plusieurs systèmes d’écriture, parfois récents ont également vu le jour, souvent dans un perspective de conservation et de mémorisation d’un héritage culturel comme l’écriture n’ko, inventée par Solomana Kanté pour transcrire les langues mandingues ou encore l’écriture Bamoun au Cameroun développée par le roi Njoya et interdite par l’administration coloniale française, le Mandombe en République démocratique du Congo, le Vaï au Libéria ou le Winanckôkrousè en Côté d’Ivoire.
Au-delà de l’expression écrite, l'expression orale à visée artistique était largement répandue au sein des différentes cultures africaines. Certaines sont passées de l’oralité à l'écriture afin de marquer ces récits millénaires dans l’époque moderne. Nous pouvons à ce titre nommer les épopées de Soundjata par D.T Niane pour les mandingues ou du MVETT chez les Fang ou la retranscription de contes peuls grâce à Amadou Hampâté Bâ.
Ces époques ont donc permis la production d’une littérature africaine fondée sur l’expression de différentes civilisations ayant chacune leur langue et produite par des Africains sur le sol africain, parlant de leur propre culture.
Avec l'expansion de l’empire romain, des califats arabo-musulmans et des régimes coloniaux européens, la littérature africaine prend un nouveau tournant car d’autres flux de populations et d’autres langues, notamment l’arabe, le français, l’anglais, l’espagnol etc se sont diffusées et imposées sur le continent africain.
Ces événements historiques ont fait que l’Afrique était une littérature écrite par les européens en langue européenne pour parler et décrire le continent. Cette vision était le plus souvent erronée et raciste.
Au fur et à mesure, l’Afrique est alors racontée à travers des récits de voyage et d’exploration ce qui a permis un certain succès au roman colonial dans les années vingt. On parlait de littérature exotique. Cette littérature était donc d’auteurs européens, mais ayant pour sujet l’Afrique.
Au temps des indépendances, les penseurs africains ont commencé à exprimer leurs idées à travers une littérature engagée pour dénoncer les régimes coloniaux créant des mouvements littéraires comme celui de la négritude.
A partir du début des années quatre-vingt, les études littéraires africaines ont été marqué, entre autres, par la prise en compte des territoires nationaux comme espace d’appropriation et de création littéraires.
Si l’on retrace l’histoire, quels que soient les changements de paramètres définissant la littérature africaine, le fait que le sujet porte sur ce qui se passe en territoire africain demeure fondamental.
Cependant, nous observons que les flux de populations originaires d’Afrique qui ont quitté le continent du fait de l’histoire, par choix ou pas, ont exporté l’Afrique dans leurs pensées et réflexions. De fait, l’Afrique, au delà d'être associée à un territoire, devenait un espace de pensée fruit de la rencontre de l'interaction de différents territoires. Vous me suivez encore … :D?
C’est ainsi qu’ont pu se développer d’autres aspects de la littérature africaine, particulièrement la negro africaines, que l’on peut, de manière large, appeler littérature afro ou afrodescendante. On y retrouve la littérature de la diaspora au sens large, comprenant la littérature afro-caribéenne, afro-américaine, afro-européenne. Chacune parlant des paradigmes issus de l'interaction entre les identités africaines et l’espace dans lequel ils sont établis.
Par ailleurs, il faudra établir la distinction entre la littérature francophone ou anglophone et la littérature africaine d’expression française ou anglaise, car la littérature africaine est une littérature qui parle d’Afrique avant tout. Son ancrage et validité seront soutenus par l’ancrage national de son auteur, mais aussi de la langue du récit. Ainsi n’est pas qui veut rédacteur de sujets concernant l’Afrique et être un auteur de nationalité ou d’origine africaine parlant des champignons en Alaska n’introduit pas son livre dans la famille de la littérature africaine.
De ce fait, la littérature africaine peut se définir comme une littérature qui a comme sujet principal l’Afrique et qui est portée par des personnes en Afrique ou originaires d’Afrique assurant d’avoir un récit ou une étude dans une perspective africaine ancrée.
De nos jours, la notion de littérature nationale se développe de plus en plus à travers la volonté de produire des livres en langues africaines. J’ai comme une impression de retour à la littérature africaine originelle après cette longue boucle historique.
Et dans cette perspective, je ne saurais vous conseiller meilleur livre que le Roi Khoufou et ses magiciens, contes de l’Egypte ancienne en 5 langues des éditions Teham. Les traductions proposées dans le livre d'après le texte hiéroglyphique sont proposées en anglais, en français, en Ghomala'a (Cameroun), en kiswahili (Afrique centrale et orientale) et en Mooré (Burkina Faso).
La littérature africaine aujourd’hui se fraye tout doucement un chemin dans l’espace international, à travers les différentes distinctions et reconnaissance qui lui sont octroyées. Cette année, le Tanzanien Abdulrazak Gurnah s’est vu décerné le prix Nobel de littérature. Il est le 5ème africain à recevoir cette récompense après Wole Soyinka, Naguib Mahfouz, Nadine Gordimer et John Maxwell Coetzee. Bien que depuis 1901, sur les 118 lauréats de la plus prestigieuse distinction littéraire, 95 restent issus d’Europe ou d’Amérique du Nord.
Bibliographie:
Kaprièlian, N. (2009, 14 mars). Pourquoi les américains ne lisent pas les romans français ? Les Inrocks. https://www.lesinrocks.com/actu/pourquoi-les-americains-ne-lisent-pas-les-romans-francais-126616-14-03-2009/
Kesteloot, L. (1992). Anthologie Negro Africaine (Anthologies) (French Edition) (Nouv. éd. rev. et augm éd.). Editions Classiques D’Expression.
Richard Miller, R. M. (s. d.). Existe-t-il une littérature européenne ? Les Editions du CEP. https://www.cep-editions.com/PDF/Existe-t-il-une-litt%c3%a9rature-europ%c3%a9enne_Richard_Miller.pdf
Sanou, S. (2011). Littérature et espace : la problématique des littératures nationales. Christiane Albert éd., Littératures africaines et territoires. Paris : Karthala., 57‑68. https://www.cairn.info/litteratures-africaines-et-territoires--9782811105129-page-57.htm