La Charte de Kurugan Fuga est considérée comme un des premiers documents de type oral à s’intéresser aux droits humains universels. Elle a été proclamée à Kurugan Fuga et est inscrite depuis 2009 sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’UNESCO. Depuis le 16 mars 2011 au Mali, elle est le sujet d’un projet de décret l’introduisant dans le patrimoine culturel national.
J’ai eu connaissance de la charte de Kurugan Fuga bien trop tard dans ma vie. J’ai accueilli son enseignement avec un sentiment de surprise, mais aussi de dépit. Oui, triste de constater que ce moment crucial de l’histoire politico-sociale de l’Afrique a de nouveau été noyé dans les lointains recoins de l’Histoire du monde.
Cependant, de la pénombre jaillit toujours la lumière, celle qui nous éclaire, nous et notre esprit : la connaissance ! Et c’est cette connaissance que je souhaite partager avec vous aujourd’hui.
Définition
La Charte de Kurugan Fugan ou Charte du Mandé, nous vient tout droit de l’empire mandingue qui a émergé au XIIIe siècle sous le règne de Soundiata Keita.
Dans la littérature, elle a été révélée pour la première fois dans le roman historique de Djibril Tamsir Niane, auteur de, Soundjata ou l’épopée mandingue, publié en 1960 aux éditions Présence Africaine. Cependant, ce n’est qu’en 1981, lors d’un séminaire en Guinée de la CEHLTO (Centre d’études linguistiques et historiques par Tradition Orale), que l’intégralité des 44 règles de la charte prend vie. Le texte a directement été traduit du mandinka au français par l’Institut de Recherche linguistique appliquée de Guinée (IRLA) pour la supervision de Siriman Kouyaté.
Cette charte ne constitue pas un texte de loi ou une constitution. Elle se veut davantage une convention. Elle est " un ensemble de règles de conduite, d’enseignements et de préceptes destinés à organiser la vie en société ".
Cependant, pour mieux comprendre l’émergence de cette charte à ce moment précis de l’histoire, revenons un peu sur le contexte de l’époque.
Contexte historique
Depuis le IVe siècle en Afrique de l’Ouest règne l’empire du Wagadu, ou Empire du Ghana, sous la dynastie des Kayamaga. "Les royaumes de Gao, du mandé ou Mali, du Tékrour, du Kaniaga et autres provinces (…) étaient des entités vassales des Kayamaga ".
Au sein de l’empire se côtoyaient pacifiquement des peuples de diverses origines et croyances . "Par principe, l’animisme ignore le prosélytisme ".
À partir du VIIIe siècle, les commerçants arabes et berbères, et le royaume du Ghana commencent à entretenir un commerce transsaharien florissant. Sur cette terre de tolérance, les Arabes, majoritairement musulmans, pratiquent leur croyance sans être inquiétés. L’Islam parvient à se diffuser rapidement.
Cependant, au XIe siècle, les Almoravides du Maroc se lancent dans des conquêtes religieuses armées. " Ils attaquèrent l’Empire du Ghana en mettant le siège devant la riche ville marchande d’Aoudaghost ". En 1076, la conquête se termine par la prise de Koumbi. L’Islam est imposé par la force aux souverains. C’est la fin et la chute de l’empire du Ghana.
De 1076 à 1235, date qui marque la victoire de Soundiata Keita contre Soumahoro Kanté lors de la bataille de Kirina, l’histoire se révèle incertaine. Pendant ce temps, les guerres et les frondes se multiplient, la chasse à l’esclave prend une échelle inquiétante et les guerres de conversion à l’Islam aussi.
Pendant, cette période grise, les révoltes contre les musulmans et le Kayamaga affaiblis se multiplient. "Les traditions de nioro et de Goumbou narrent la révolte des clans Djarisso, Sosso, Kogoro, contre l’autorité des Kayamaga, très affaiblis ". C’est à cette époque que se soulèvent les Sosso qui finissent par accéder au pouvoir. À leur tête, un souverain bien connu de la tradition orale : Soumaoro Kanté, légendaire adversaire de Soudjata Keita.
"Selon les traditions soninkés, les Sosso étaient des esclaves de la couronne ; après la victoire ils furent impitoyables envers leurs anciens maitres "
De plus, les animistes, dont faisaient partie les Sosso, voulaient mettre fin aux razzias, par les armes, perpetuées par des Maures et Marka qui étaient des trafiquants d’esclaves musulmans et les auteurs d’un génocide violent contre les animistes.
Soumaoro Kanté a donc étendu son pouvoir sur le pays Soninké et s’est imposé aussi au niveau du pays Malinké. Il finit par se proclamer "Roi légitime du Mandé ", par conquête. C’est à ce moment que la bataille de Kirina intervient. Soudjata a souhaité mettre fin à cette période agitée en construisant les fondements d’une société troublée par un passé fait de guerres. C’est de là qu’est née la Charte de Kourougan Fuga destinée à instaurer la justice et la paix dans le grand Empire à devenir du Mali.
Les grandes règles
En 1981, date de la rencontre du CEHLTO qui regroupait les plus grands historiens, traditionalistes et linguistes d’Afrique de l’Ouest, la charte a été révélée de nouveau. Comme indiqué précédemment, 44 règles la régissent.
Mr Kouyaté Siriman « de la famille Dokala, les djéli détenteurs et gardiens du célèbre Soso bala ou Balafon de Soumaohoro Kanté » a divisé l’ensemble de la charte en 5 grandes parties :
- l’organisation sociale
- les droits et devoirs
- la gestion des biens
- la préservation de la nature
- Les dispositions finales
Par ailleurs, il met en lumière les 4 lois qui lui semblent les plus importantes à savoir :
Règle n° 23 : « Ne vous trahissez jamais les uns et les autres. Respectez la parole d’honneur » qui suggère l’importance de la fidélité et la loyauté au sein de la société.
Règle n° 5 : « Chacun a le droit à la vie et à la préservation de son intégrité physique “. La tradition rapport que ‘au temps de Soudjata, “chacun est devenu maître de sa personne, maître de ses biens, de ses femmes et de ses enfants”.
Règle n°7: “La sanankuya” — pacte de sang. Elle marque l’origine de “l’institutionnalisation de la parenté à plaisanterie”. Au-delà de la plaisanterie, les cousins ou les parents à plaisanterie se doivent aide et assistance’.
Règle n° 25: “Le messager, le chargé de mission est protégé au Mandé” qui fait valoir la libre circulation sans risques dans l’empire mandingue comme au temps de l’empire du Ghana.
Il n’oublie pas de disséquer la première loi de la charte qui ‘précise le cadre des équivalences qui s’établissent entre noms malinkés et patronymes de Sénégambie. Ainsi Ndiaye = Diarra ou Condé ; Diop=Traoré, Dembelé ; Fall = Koulibaly etc. Cette règle était précieuse car elle garantissait la paix dans la région et donc au sein du royaume du Mandé.
À titre personnel, j’en retiens deux de plus qui me semblent fondamentales et avant-gardistes, à savoir :
Règle n°9 : “L’éducation des enfants incombre à l’ensemble de la société”, marquant la responsabilité de chacun à transmettre des valeurs à la génération qui la suit.
Règle n°16 : “Les femmes, en plus de leurs occupations quotidiennes, doivent être associées à tous nos gouvernements”, donnant une place de choix et valeur aux femmes dans les sociétés ouest-africaines.
Conclusion :
C’est à cette même époque qu’est née la Magna Carta, charte établit en 1215 sous la couronne d’Angleterre. Ce texte, datant d’il y a plusieurs siècles, est reconnu comme étant à la base du droit anglais et aussi “un des documents juridiques les plus importants dans l’histoire de la démocratie moderne”. Parallèle intéréssant, pas dans le fond mais dans la consiération et valorisation, n’est-ce pas ?
Cette découverte nous permet de saisir l’importance de l’histoire dans la construction des systèmes de sociétés. La Charte de Kurugan Fuga est un texte fondamental de la pensée politique ouest-africaine, qui mérite d’être étudié et réadapté selon son paradigme actuel. Un texte fondamental pour la pensée de l’homme, pour l’humanité tout entière.
Je vous invite à en apprendre plus sur ce texte, mais aussi sur toutes les équipes de chercheurs qui travaillent dessus pour qu’il demeure un patrimoine immortel de l’histoire du monde.
Pour en savoir plus :
- C.E.L.H.T.O. (2008). La Charte de Kurukan Fuga : aux sources d’une pensée politique en Afrique. L’Harmattan.
- Niane, D. T. (1971). Soundjata ou l’épopee mandingue . Présence africaine.