Article rédigé par Meriyem KOKAINA
Que signifie être femme ? Aujourd’hui comme hier, que représente la femme pour la société, pour elle-même en tant qu’être?
Quelles que soient les hauteurs de cette course vers son indépendance, pour être complète, fière et reconnue, doit-elle également être une sœur, une épouse, une mère .. N’est-elle considérée que lorsque son existence est associée à un autre être? Doit-on continuer de considérer la femme comme un être incomplet, qui ne se suffit ni à lui-même, ni à la société qui l’a vu naître ? La femme continuera-elle de croire que son bonheur ne lui appartient pas, mais que si elle en décide ainsi, cela sera au risque de nombreux sacrifices ?
Reste avec moi est un récit poignant, qui m’a hérissé les poils et fait couler des torrents de larmes sur mes joues. Ce livre m’a touché, au plus profond de mon être, au plus profond de mon âme et dans ma chair. Pourquoi, car il touche au complexe sujet de la condition féminine. Ce livre, c’est l’histoire d’un heureux couple nigérian Yejide et Akin dont l’union découle d’une belle histoire d’amour. De cet amour, ils souhaitaient créer la vie, donner naissance aux futurs enfants qui allaient fonder leur foyer. Mais, la vie n’est pas une équation simple et nos attentes ne trouvent pas toujours réponse.
Ce couple amoureux peine à concevoir et à avoir ces enfants tant attendus. C’est ainsi que les jugements et pressions commencent à déferler sur eux tel un prévisible tsunami. Le problème est que puisqu’elle ne pouvait pas concevoir, son foyer ne lui appartenait plus, son mari et sa féminité non plus. Il était temps pour elle d’être remplacée.
"Ce sont les femmes qui fabriquent les enfants et si tu n’y arrives pas, c’est que tu es un homme. On ne devrait pas te considérer comme une femme.”
C’est ainsi que sa belle-mère commence à exiger que son fils prenne une deuxième épouse, car celle qu’il a choisie, ne pouvant être mère, allait être inutile à l’épanouissement de son fils.
Mais mal accueilli étant la nouvelle, Yejide, se révolte contre sa belle-mère, cette femme qui avait décidé de prendre le contrôle sur sa vie de femme et d’épouse.
“Aussi , pour la première fois, je ne tins pas compte du mécontentement de ma belle-famille et me relevai alors que j’étais supposée rester à genoux”.
Elle n’avait pas réellement droit à la parole dans ce nouveau foyer polygame dont elle allait faire partie. Elle devient alors la première épouse et Funmi la seconde, Funmi, à la chair fertile, qui allait enfanter l’enfant tant attendu, Funmi la seconde femme, la vraie femme.
De cette histoire d’amour entre deux êtres, une histoire de plus en plus trouble prend le pas. Yejide finit par être mère à trois reprises et pourtant sa maternité lui a été volée.
A qui la faute ? Pour quelles raisons? Il y a en avait tant mais si peu de valables. Des explications scientifiques, des explications mystiques, mais aucune ne pouvait justifier à ce cœur de mère, pourquoi on lui retirait les clés lui permettant d'entrer dans le jardin de son bonheur.
“C’est l’Abiku je te dis. J’ai vu beaucoup d’enfants Abiku autrefois. Et c’est à ça qu’ils ressemblaient. Écoute-moi bien. Les enfants Abiku ont promis au monde des esprits de mourir jeune.”
Trois, enfants Olamide, Sesan et Rotimi. Trois qui ont été pris par la maladie. Deux partis devant ses yeux, et une dernière Rotimi, qui était déjà partie dans son esprit de mère désespérée.
“J’avais perdu des pans entiers de moi-même quand Sesan et Olamide étaient morts, et je gardais mes distances vis-à-vis de Rotimi pour tenir encore debout quand elle ne serait plus là.”
Rotimi, était la dernière âme qu’elle avait portée sur terre, cette dernière qui en elle portait l’espoir comme le désespoir de Yejide.
Ils l’appelèrent Rotimi, un nom suggérant qu’elle était une enfant abiku venue au monde avec l’intention de mourir très vite. Rotimi - “ Reste avec moi”.
L’histoire de Yejide, n’est pas uniquement une histoire de maternité inassouvie. C’est aussi l’histoire d’une femme à laquelle l’on a retiré le droit de vie, car on a fait de sa vie un mensonge, la faisant culpabilité pour un mensonge dont elle n’était pas l’auteur. En effet, son époux, cet homme qui lui avait promis amour et respect éternel, lui a fait porter le fardeau de l’infertilité alors que c’était lui-même qui en était le sujet. Ne pouvant se l’avouer a lui même ni à sa mère, il a préféré dans un élan de lâcheté faire de sa femme un bouc émissaire.
“Les plus gros mensonges, c’est souvent ceux qu’on se dit à soi-même.”
Pour lui, avouer son infertilité à la société sans pitié était inconcevable. Il préféra pousser son frère Dotun et sa femme Yejide dans une relation extra-conjugale qu’il essayait de manipuler à bout de forces psychologiques.
“De toute façon, je savais que Dotun était le donneur de sperme. C’était d’ailleurs en ces termes que je songeais à ce qu’il avait fait pour moi - il avait donné son sperme”
Cependant, cela nous questionne également sur les pressions posées sur les hommes par la société. Cette virilité exacerbée exigée quel qu'en soit le prix. Car un homme, n’a pas à fléchir, ne peut être faible, ne peut être stérile car sinon c’est à lui qu’on refusera la masculinité. Car à lui aussi, on refuse toute sorte de bonheur s’il ne représente pas l’homme comme attendu et défini par ses proches.
“Yejide finirait par avoir un enfant et nous serions à jamais heureux. Peu importait le prix à payer. Peu importait le nombre de rivières à traverser, le bonheur nous attendait, un bonheur censé commencer uniquement après la naissance de nos enfants et pas une seconde avant.”
Yejide a la découverte de ce mensonge, mensonge qui lui avait dérobé sa vie et son mensonge, voyait les portes de son bonheur se fermer à tout jamais.
Mais ce bonheur, qu’elle recherchait tant, finit par lui laisser un chemin, le chemin qui l’a mené vers sa fille Rotimi, qui ayant survécu attendra patiemment le retour de sa mère.
“Je ferme les yeux comme quelqu’un qui reçoit une bénédiction. Tout au fond de mon être, quelque chose se déploie, la joie m’envahit, une sensation que je ne connais pas encore, mais qui s’impose à moi, et je sais que ça aussi, c’est un début, la promesse de merveilles à venir.”
Un livre qui m’a profondément et sincèrement touché. J’ai eu un coup de cœur réel pour cette histoire et cette nouvelle plume pleine de vérité et de transparence qui a bouleversé mes émotions. Un coup de cœur pour le thème principal qui nous pousse à nous questionner sur le rôle attendu par chaque sexe dans la société, l’homme comme la femme.
Ce livre qui n’oubliera pas non plus de décrire le Nigéria des années 80 en pleine transition politique où la démocratie, la sécurité et la société connaît une enveloppante dégradation.