Article écrit par Oumou Wele
"Elle aurait aimé lui dire maintenant: tu te rends compte, tu nous parlais comme à des femmes et comme si nous avions un devoir de séduction, alors que nous étions des gamines et que nous étions tes filles."
Trois femmes puissantes de Marie Ndiaye est une œuvre qui ne laisse personne indifférent. Le roman est à la fois perturbant, difficile et totalement envoûtant. Les portraits de trois femmes nous sont décrits. Des femmes dont nous ne savons rien. Aucun préambule. Aucun décor n’est posé. C’est le lecteur qui, au fil du livre, devra recoller les morceaux épars de leurs vies et retracer leurs chronologies.
©BellaNaija Style
Le premier personnage est Norah, une femme avocate qui sera longtemps sujette aux comportements rabaissant et dénigrant de son père de par sa condition féminine, père, qui la rejettera pour lui préférer son frère. Et pourtant, au fil du récit, on voit que les rapports de force s’inversent lorsque Norah prend conscience qu’elle n’est pas la raison du rejet de son père. Elle regagnera confiance, renouera avec le monde et réalisera les succès de sa vie alors que son père, si fier, devient pathétique et misérable.
Le second personnage est Fanta, épouse triste et mélancolique d’un mari torturé par une enfance sombre et des parents au passé lourd. Son héritage fera de lui un homme qui cumulera déboires professionnels et un cruel manque de confiance en lui, pour enfin plonger dans une descente aux enfers, où il embarquera son épouse qui finit par perdre sa joie de vivre. À travers ce récit, nous réalisons à quel point l’humeur et l’état d’esprit du conjoint peuvent avoir un impact fort sur la vie de la femme. Mais également, que les méfaits de comportements parentaux peuvent détruire la personnalité des enfants.
Le troisième et dernier personnage est Khady, héroïne d’une histoire bouleversante. La vie n’aura pas été clémente avec elle. Jeune, c’est une enfant délaissée passant de familles en familles l’ayant exploité. À vingt ans, elle espère trouver refuge chez ses beaux-parents, mais elle n’y trouvera qu’hostilité et exclusion à la mort de son mari. Face à cela, elle ne voit plus que pour seule issue, que de tenter le chemin de l'exil et l'errance dans le vague désert du Sahara, qui peut-être lui ouvrira les portes de l’apaisement.
« Quand bien même nul être sur terre n'avait besoin ni envie qu'elle fût là »
Ces trois femmes ne se ressemblent pas à première vue. Leurs seuls points communs seraient leur genre et leur racine sénégalaise. Et pourtant, elles sont toutes les trois passées par des épreuves difficiles. Mais à un moment donné, un moment clé je dirais, elles ont chacune relevé la tête et ont dit non ! Non à l’humiliation, non au rabaissement. Et elles ont osé dire oui : oui à la vie, oui à la dignité et oui à leur importance ! Le roman évoque au-delà de ces femmes des sujets universels: la difficulté de l’exil, le poids patriarcal en dépit du titre de l’ouvrage, la lutte quotidienne de leur condition.
Le style d’écriture de l’auteur est particulier. Difficile même. Le lecteur entre dans la vie de ces femmes sans ne rien savoir d’elles : qui sont-elles ? D’où viennent-elles ? Quelles sont leurs histoires ? Quelles émotions l’auteur souhaite exprimer ?
Une écriture aussi abrupte peut amener des lecteurs potentiels à s’arrêter au bout de quelques pages. Et pourtant ! L’histoire est captivante, prenante, déchirante, poignante ! Et si profonde. L’effort nécessaire au déchiffrement du roman n’en rend la découverte que plus délicieuse.
Marie Ndiaye utilisera des symboles, qu’elle distillera tout au long de son roman. Ceux-ci prendront par exemple la forme d’un arbre dans le récit de Nora. Au premier abord, cette description si détaillée peut laisser le lecteur perplexe : quel est le besoin de revenir sans cesse à cet arbre ? On se rendra compte au fil de la lecture que cet arbre est un symbole, et même plus encore, une allégorie. Celui-ci représente le déclin patriarcal.
L’analepse ou autrement dit le flashback sera aussi un style de narration beaucoup utilisé par l’auteur. Il nous permettra de nous plonger dans les vies des trois personnages principaux et de ressentir un lien profond avec ces femmes. Comme si nous avions partagé ces moments de vie. Ces anecdotes. Ces moments précis et si précieux.
Trois femmes puissantes est une œuvre littéraire qui est une ode à la vie et surtout, une ode à la Femme. Aussi, il est un témoignage de la force qu’il faut pour s'affranchir des obsessions qui étiolent l’évolution et l’épanouissement de l’être. Un hommage pour toutes les femmes : celles qui traversent la vie sans égratignures, celles qui vivent des moments particulièrement difficiles, celles qui encore ont atteint le fond et qui sont prêtes à donner le coup de pied pour remonter à la surface. Celles qui sont prêtes à rendre les coups. Cette œuvre les aidera à passer ces moments et leur chuchotera à l’oreille : vis, bas-toi, tu en vaux la peine. À toutes ces femmes, ce livre leur est destiné.