“Les mains qui vous applaudissent quand vous montez sur le trône sont celles-là qui vous applaudissent également quand vous chutez”
Me baladant dans les allées de la bibliothèque, un livre rouge flamboyant attira mon attention. Je me penche et lis la première de couverture. Il y figure le titre : Le viol de l’imaginaire.
J’ai tout de suite su que ce livre fera partie de ma sélection, il est tout à fait en ligne avec certaines réflexions que je me faisais sur la destruction de l’identité africaine. Un peu plus haut, le nom de l’auteur : Aminata Traoré. Aminata Traoré est un nom qui résonne au Mali. Je la connaissais de part mes recherches où son personnage de femme engagée ressortait souvent. Elle faisait également partie du gouvernement d’IBK en 2002 lorsqu’il était Premier ministre.
J’étais curieuse de savoir ce qu’elle proposait à travers ce titre fort, aguicheur et violent. Ferait-elle l’apologie du gouvernement dont elle faisait partie ou une critique sanglante ?
Partagera-t-elle son expérience ? Ses recommandations ? Ses peines ? Sa frustration ou les blessures de l’imaginaire commun du peuple malien ?
En tout cas, j’ai hâte.
Je tourne les pages les unes après les autres …La lecture commence par la proclamation de l’indépendance du Mali. Les Maliens reprennent les rênes de leur destin. Modibo Keita est le premier président de la République du Mali. Mais peu de temps après, les ambitieux ne sont plus, leurs ambitions, tel un soufflet s’essoufflent :
Modibo Keïta
« En moins d’une décennie, l'expérience malienne d’un développement endogène centré sur la valorisation des ressources locales et la satisfaction des besoins prioritaires de la population s’était essoufflée ».
La destinée de Modibo Keita se clôture par un exil et une mort dans le désert aride de Kidal… Mon cœur se pince. Le Mali rêvé dont le peuple s’est soulevé contre le colon Français ne sera qu’une chimère. Je le sens…
En 1967, le Mali rejoint les accords de coopération monétaire et perd le Franc Malien. Il « fut dévalué de 50% le 6 mai 1967 ». La crise se dessine...
La violente conséquence ne se fait pas attendre… Moussa Traoré est au pouvoir, le coup d’Etat est réussi.
Aminata débute sa critique sans détours contre les institutions internationales qu’elle accuse d’être les principales instrumentistes de l’effondrement des économies africaines, dont le Mali. Le FMI et la Banque Mondiale forçant l’ouverture à la mondialisation n’auraient à aucun moment pris en compte les volontés du peuple malien car mettant en place des politiques qui n’ont en aucun cas aidé à leur épanouissement économique.
« Il n’y avait, apparemment, qu’une voie à suivre, celle de l’ouverture totale à l’économie de marché. Epaulée par le FMI et la Banque Mondiale, la Troisième République s’y engouffre. Les missions des experts et des fonctionnaires de ces institutions se succédaient et décidaient du sort du Mali à l’insu du peuple malien »
Pour Aminata, une seule explication à retenir : les mécanismes d’un néocolonialisme qui se renforcent et qui gravent dans le marbre les volontés suprémacistes de l’Occident, réduisant les pays fraîchement sortis de la colonisation à des pays secondaires dans l’équilibre mondial.
“Mais, pour asseoir sa domination, l’Occident doit croire en sa propre suprématie et la proclamer haut et fort en ravalant nos peuples au rang de pauvres, contraints, pour se rapprocher du monde des “non-pauvres”, de lui emboîter le pas. En somme, après avoir été ses esclaves, ses colonisés, ses tirailleurs, nous sommes aujourd’hui ses pauvres et nous acceptons ce sort en nous laissant couler dans les moules qui ont pour noms ACP, PMA, PPTE »
En plus de s’attaquer à l’économie, l’identité africaine et réduite à un folklore négatif relatif à un ancien monde sans crédibilité identitaire ou culturelle :
« La puissance coloniale limite notre capacité de résistance en s’attaquant à l’image que nous avons de nous-mêmes. Celle-ci est frappée de désamour »
Cela me renvoie au souvenir de la manière dont les obsèques de Mugabe était décrites dans le fameux media BFM TV. La journaliste très sûre d’elle dit qu’après la cérémonie officielle, le corps de Mugabe allait être enterré dans son village natal en indiquant…. : (préparez vous) : « comme vous savez ici, il ya encore des rites de sorcellerie à réaliser par la famille de Mugabe avant d'enterrer le corps ». Quelle condescendance de décrire des rites culturels propre à toute une région du monde comme de la sorcellerie … Mais enfin imaginez un média africain dire qu’un baptême relève de la sorcellerie… Je refuse. Nous refusons. Notre culture n’est pas de la sorcellerie. C’est une culture qui est décrite comme négative car l’Occident ne la maîtrise pas et n’en connaîtra jamais les secrets.
En parallèle, Aminata insiste fortement sur le fait que les institutions internationales du Bretton Woods ont établi leur stratégie avec la complicité de chefs d’Etats africains dont la priorité est de satisfaire l’ancienne puissance coloniale et le FMI …. Mais où se trouve la volonté du peuple ici ? Ils sont les chefs d’Etats de qui ? Font-ils campagne pour améliorer le quotidien de leurs compatriotes ou pour faire plaisir à l’Occident qui pourrait les menacer de leur couper les vivres des aides internationales qu’il détourne pour leurs petites affaires ? Présidents, le pays est au peuple, pas à vous. Vous avez juste la noble mission pendant un temps déterminé de le représenter avec fierté, pour la valorisation de ses intérêts propres. N’en faites pas une affaire personnelle…surtout si vous le vendez à très bas prix. L’occident pourra vous soutenir, mais vous lâchera dès que l’équation ne sera plus en sa faveur, cependant, votre peuple vous soutiendra si vous le rendez fier et heureux.
Comme le dit la mère d’Aminata :
“Les mains qui vous applaudissent quand vous montez sur le trône sont celles-là qui vous applaudissent également quand vous chutez”
Pour répondre aux exigences des institutions du Bretton woods, les pays africains dont le Mali sont devenus exportateurs nets de capitaux…La dette coûtant in fine plus cher que l’aide. Un comble.
« L’Afrique dite “pauvre” est devenue aujourd’hui - comble de l’ironie- exportatrice nette de capitaux, tandis que le revenu moyen par habitant est passé au-dessous de son niveau de 1960. Pour chaque dollar de capital net reçu, le continent rembourse 1,06 dollar, dont 51 cents au titre de pertes liées aux termes de l’échange. »
Le Mali s’est engouffré dans un puit de dettes et a traîné avec lui les Maliens dans un désert de sables mouvants. Il se débat le peuple malien, il se débat dans ces sables l'aspirant … l’effort et la volonté y est. Je vous vois essayer de vous en sortir, les mouvements de bras s'enchaînent, les muscles sont fatigués, les gouttes de l’effort ruissellent sur votre front.
L’Afrique ne perd pas que des capitaux, elle perd aussi son peuple qui ne voit plus en elle d’espoir. Ce qu’elle a, elle l’offre aux autres et non plus à lui alors qu’elle lui revient de droit.
« L'irrésistible besoin d’ailleurs qui habite la grande majorité des Africains et Africaines n’est ni plus ni moins que l’expression de l’échec du développement et des transitions démocratiques. Cette réalité nous interpelle autant que l’Occident se barricade »
Fuite des cerveaux, fuite de ceux qui peuvent et souhaitent changer les choses, avoir un futur.
Si l’Afrique se vide de ses ressources de ses gens, que lui restera-t-il pour retrouver une place honorable dans ce monde.
« L'Afrique se vide à la fois de ses matières premières, de ses capitaux, de ses bras valides et de ses cerveaux. Il suffit d’ajouter à ce tableau le pillage des objets d’art pour avoir une idée de l’ampleur des ponctions opérées sur les ressources de ce continent »
Toute la frustration qu’exprime Aminata en décrivant l’intrusion violente du Bretton Woods, l’incapacité des dirigeants à être du côté de leur peuple plutôt que du côté de l’ancien colon et de n’avoir pour objectif que l’accaparement du pouvoir ancre en elle la nostalgie d’un rêve qui promettait l’espoir d’un Mali nouveau, d’un Mali revenu sur ses bases premières, un Mali vrai.
Aujourd’hui, avec les bases les plus fragile, il titube dans le paysage mondial sans leader pour se remettre sur pied. En son cœur une population qui n’arrive plus à se construire car ne se connaissant plus, ne sachant plus comment mettre sur pied sa reconstruction.
« Seuls les peuples qui ont conscience de leur passé, qui assument leurs valeurs de société et de culture, pourront survivre au passage de ce rouleau compresseur” de l’[uniformisation des vues, des choix, des goûts et des opinions]»
Aminata fini par une ode à l’espoir et au changement. Elle y croit, elle veut que nous y croyons tous.
« Une autre Afrique est possible, une Afrique réconciliée avec elle-même, disposant pleinement de sa faculté de penser son propre avenir et de produire du sens, une Afrique qui aura mis un terme au viol de l’imaginaire »
Cependant une dernière question se pose :
«Combien d’épreuves et de déboires faudra-t-il que l’Afrique subisse encore avant que les solutions correspondent aux maux ?»
Lire la biographie d'Aminata Traoré